En créant une civilisation à partir d’une page blanche, de nombreuses questions se posent pour parvenir à lui donner de la vie et de la profondeur. Il s’agit ici d’attirer l’attention sur la question des sports et concours. On peut songer aux jeux olympiques (c’est d’actualité avec Paris 2024) ou aux gladiateurs de la Rome Antique, ou aux fresques de Cnossos représentant des acrobates se risquant à sauter par-dessus un taureau.
Point de départ : « Une archéologie du sport et des techniques du corps ? » par Jean-Paul Demoule dans la rubrique Grandes questions de l’archéologie, in Archéologia n°627, janvier 2024, p. 8-9. En prenant mes notes j’ai également consulté de précédentes recensions d’articles.
Les techniques du corps
L’expression est de Marcel Mauss et l’idée est que les gestes de la vie quotidienne sont aussi culturels. Or, observe J-P. Demoule, « si nous ne pouvons plus observer les gestes préhistoriques, du moins pouvons-nous en étudier les effets sur les corps, ou plus précisément sur les squelettes parvenus jusqu’à nous ».
Les traces des techniques du corps sont par exemple le développement d’une musculature du bras droit cohérente avec le lancer de javelot ou le tir à l’art durant la Préhistoire.
D’autres techniques sont attestées par l’art, par exemple des représentations de groupes qui paraissent danser, ou par l’existence même d’un outil ou de réalisations. Si on a une maison en bois, c’est qu’on a coupé un arbre au préalable, avec une hache en pierre polie (Néolithique) ou en métal. Dans les deux cas, cela requiert de la force et de la maîtrise.
Sports et compétitions
Si pour les périodes les plus anciennes, nous ignorons quelles sont les pratiques sportives, le fait de pouvoir croiser les données entre archéologie et histoire permet d’imaginer des pistes de questions auxquelles répondre pour concevoir de possibles sports et compétitions propres à la civilisation créée.
- Quels sont les modes de déplacement prestigieux ? (course à char, à bateau, à cheval, en voiture, etc.)
- Quelles sont les pratiques spécifiques aux groupes dominants qui peuvent prendre un aspect sportif, scénarisé, festif ? (chasse et tournoi au moyen-âge par exemple, ou globalement tout l’entraînement des citoyens-soldats de la Grèce ancienne, ou encore aussi les bals de la haute société au XIXe s.)
- Quels sont les outils prestigieux ? Les armes emblématiques ?
- Comment l’épreuve peut-elle être compétitive et susciter du suspense pour le spectateur ?
Je mentionne ici des « groupes sociaux dominants », ce que ne fait pas J-P Demoule dans son article. Cependant, j’ai du mal à trouver des exemples de sports et de compétitions valorisant les « techniques du corps » maîtrisées par un groupe social subalterne, voire discriminé. Il me semble que le spectacle associé aux grands rassemblements doit susciter fondamentalement un désir et de l’admiration pour emporter l’adhésion.
Complexité des mouvements sociaux
Les sociétés sont rarement aussi simples que « un groupe dominant » versus « un groupe dominé ». On peut trouver plusieurs strates, et des actions contestataires d’un groupe inférieur peuvent être adoptés par l’échelon supérieur. Mon exemple préféré à ce propos vient de l’histoire du costume.
D’après mes souvenirs de lecture (je n’ai plus la source en tête), des lois somptuaires italiennes interdisaient aux non-nobles (donc concrètement aux riches bourgeois, les seuls à avoir les fonds pour rivaliser) de porter certaines couleurs (vraisemblablement du rouge ou du pourpre, couleurs régulièrement réservées aux élites depuis l’Antiquité). Une innovation en teinturerie permettait cependant de désormais disposer de très beaux noirs (et de leurs « octaves inférieures » : violet, vert sombre, etc.). Les grands bourgeois ont adopté ce qui est une sorte de « look » contestataire, qui alliait luxe (matière première, technicité) et message (l’austérité, le sérieux, la profondeur). La mode du noir s’est répandue ensuite dans les cours princières, et on a pu trouver ici un « Prince Noir », là d’autres grands conseillers, posant tous dans les couleurs sombres du plus grand chic.
La liste de questions sous le titre « Sport et compétition » vise donc davantage à ouvrir la réflexion qu’à apporter des solutions définitives. Plus on réfléchit sur l’univers, comment les pièces s’articulent, quelle est leur dynamique, et plus on découvre de situations dramatiques qui peuvent devenir des enjeux de scénarios propres à cet univers en particulier (ou difficiles à transposer).
🎲 Digressions technique sur le corps
Une civilisation aura donc des compétences, techniques, maîtrises, enseignements, dons (au sens des règles de la 5e édition) pour chaque aspect nécessaire à la vie quotidienne. Cela paraît une platitude, mais si on considère le profil du roturier (page 445 du SRD 5.1), il appert rapidement que c’est un individu très fade et faible. A quoi ressemblerait vraiment un paysan ? Ou un ouvrier ?
- Force : hommes et femmes ont une pratique physique quotidienne et importante. Il s’agit de labourer, faucher, broyer le grain… Au Néolithique, l’archéologie expérimentale indique qu’il faut compter 1 heure pour obtenir 1 kilo de farine à l’aide d’une meule en pierre manuelle. En substance, la Force 10 (+0) vaut pour un sédentaire citadin, mais certainement pas pour l’essentiel de la population. Or dans les sociétés pré-industrielles, on a bien 90% de la population dans les campagnes, beaucoup de main d’œuvre et de travaux de force. Il me semble qu’on peut sans forcer viser plutôt 14 (+2) comme base.
- Constitution : c’est plus délicat. Si on est dans un cadre plutôt « low fantasy » et dur, alors les apports archéologiques sont sans doute à prendre en considération. Passons sur la mortalité infantile (les profils s’appliquent uniquement aux adultes). Dans le cas de travailleurs de force, il y a parfois de l’arthrose avant la vingtaine ou des fractures de compression. A cela s’ajoutent des carences alimentaires, des parasites intestinaux (voire des polyparasitoses), des carences en fer, le paludisme… Il est difficile d’imaginer survivre à tout ça avec un malheureux score de Constitution 10 (+0) et 1d8 (4) points de vie. Je serais tentée de pousser plutôt vers Constitution 14 (+2), avec min 2d8 points de vie, et possiblement une maîtrise des jets de sauvegarde de Constitution pour évoquer la survie.
- Outils : faucher, couper du bois, etc. ne sont pas des activités anodines et elles impliquent des maîtrises spécifiques. Certes, elles ont peu de chances d’être utiles pour un aventuriers, et on peut considérer que les maîtrises sur une fiches doivent être celles qui « servent ». C’est donc essentiellement une question de choix personnel.
On pourra objecter que cela se rapproche vers le profil de « Guerrier tribal » (p.444 de la référence), soit un Facteur puissance 1/8 plutôt que zéro. De manière générale, le système de la 5e édition laisse les humains non héroïques (soldats, nobles, etc.) et les animaux (loup, lion, etc.) tout en bas d’une échelle de puissance que la rapide montée en puissance des premiers niveaux permet de dépasser très vite, au point de les rendre anecdotiques. Pour changer cela, il faudrait proposer un panel de profils de Facteur puissance 1/8 à 8 ou 10 et centré sur bêtes et humanoïdes. Évidemment on pourrait aussi considérer qu’à ce stade, on peut préférer un autre système de jeu, plus adapté à cette orientation.
📝 Si vous souhaiteriez des développements supplémentaires sur un aspect ou un autre, n’hésitez pas à le signaler, par exemple en commentaire !

Une vue du sanctuaire de Yazilikaya
| Date | 12 November 2019 |
| Author | Murat Özsoy 1958 |

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