Quand on crée un personnage-joueur en 5e édition, on choisit une « race » jouable. Le vocabulaire utilisé est un héritage qui s’est compliqué par les usages de ce terme, à quoi s’ajoute l’évolution des sciences qui l’a complètement marginalisé. Le présent article propose d’introduire un peu de théorie de l’évolution pour voir ce qui ressort comme histoire des hominines dans le cadre fictionnel par défaut sous-tendu par les règles. C’est un exercice de création d’univers qui consiste à se dire « OK, j’ai décidé qu’il y aurait des elfes et des gnomes et des humains. Qu’est-ce que ça signifierait si le monde obéissait aux mêmes lois naturelles que le nôtre ? »
Cet article s’est avéré volumineux, de sorte qu’il a été découpé en deux parties.
Inspiration : « Quand l’humanité était plurielle », dossier Archéologia n°627, janvier 2024, p.30-45.
Plus de bibliographie…

Une histoire de l’évolution en 5e ed …
Le jeu ici consiste à m’appuyer sur les principes de l’évolution des espèces pour voir ce qu’ils peuvent inspirer comme monde. Cela oriente vers une histoire très longue (en centaines de milliers, et même en millions d’années), avec la mise en avant de forces géologiques.
L’humain sert de référentiel pour les comparaisons. C’est une facilité, mais elle me paraît défendable au sens où les traits d’espèce mettent en avant les différences par rapport à une sorte de base neutre que serait l’humain. En questionnant les traits et leur sens dans l’évolution, on en vient à s’interroger sur le monde et son évolution sur le temps long : glaciation, prédation, isolement insulaire, etc. Le développement de la vision dans le noir interpelle et me pose souvent question. Je vous livre quelques pistes d’interprétation.
Le schéma auquel j’aboutis n’est en aucun cas le seul possible et les conclusions sont des exemples. Il manque beaucoup de données pour avoir des certitudes quant à l’origine des gnomes, des nains ou des orcs ! De même que celle du mystérieux ancêtre commun !
Des insulaires
Halfelins
Dérivés des hobbits du Seigneur des Anneaux, ce peuple pourrait être rapproché des vestiges découverts sur l’île de Florès. Leur petite taille est un des effets de l’isolement insulaire. Il provoque un rapetissement des espèces de grande taille et un agrandissement pour celles de petite taille.
Ce peuple donc serait issu d’une île et aurait évolué à part durant très longtemps. Il est cousin des ancêtres des humains.
Le teint clair de l’espèce indique qu’elle a évolué dans les hautes latitudes (grand nord, extrême sud). Le même phénomène a eu lieu pour les néandertaliens et les humains (c’est une convergence évolutive, pas un héritage).
Gnomes
Le même raisonnement s’applique aux gnomes qui constituent donc vraisemblablement une évolution insulaire.
L’existence de deux espèces étant certainement apparue dans un environnement isolé interpelle. Que s’est-il passé ? Certaines terres étaient-elles accessibles durant une grande glaciation avant d’être coupées du monde par une montée des eaux ?
Les gnomes sont-ils un peuple des antipodes par rapport aux halfelins ? Cela justifierait le teint clair (convergence évolutive en cas de faible ensoleillement).
La vision dans le noir pourrait s’expliquer sur le même modèle que celle des rennes en hiver : leurs yeux se modifient pour leur donner une meilleure vue. Cela serait cohérent avec une vie marquée par une longue saison sombre. Mais alors pourquoi en bénéficient-ils et pas les halfelins ? Pour les rennes, c’est une adaptation qui aide à se défendre contre des prédateurs. Il faut donc supposer que les gnomes n’étaient pas au sommet de la chaîne alimentaire et avait à craindre des dangers durant les nuits d’hiver.
Une seule espèce !
Elfes
Le cas est intéressant car il est clairement indiqué que les elfes peuvent avoir une descendance avec des humains. Cela signifierait donc que les humains et les elfes sont en réalité deux sous-espèces de la même espèce ! Ces deux groupes ont été longtemps séparés, suffisamment pour voir un début de spéciation se produire. Puis, elles ont été de nouveau amenées à se croiser sur les mêmes territoires.
Les « demi-elfes » sont la forme aboutie de la nouvelle espèce. Leur désignation est en ce sens assez inadéquate : ils ne sont pas une moitié de quelque chose, mais le futur !
Il reste des mystères (ou des choix à faire). Par exemple : d’où vient leur vision dans le noir ? Prédation ? Ou fuite de prédateurs ? Vie dans les ténèbres ? Chacun de ces choix oriente l’univers et son histoire, dessinant en creux des relations avec d’autres espèces et un environnement.
Demi-orcs
Le même raisonnement dans l’ensemble s’applique aux demi-orcs, et aux orcs.
On peut s’interroger sur l’origine de la vision dans le noir. Elle pourrait venir d’un mode de vie dans une contrée sombre (magiquement crépusculaire par exemple), ou bien les orcs ont-ils été poussés à vivre essentiellement la nuit parce que le jour était trop dangereux ? Ou alors les orcs sont eux-mêmes des prédateurs nocturnes, mais ça implique que leurs proies se défendent mieux le jour (les lions chassent beaucoup la nuit, c’est un avantage contre les proies).
L’espèce commune à venir !
Les demi-orcs et les demi-elfes sont le début d’une nouvelle espèce qui fusionnera les humains, les elfes et les orcs, qui eux-mêmes n’étaient qu’une sous-espèce d’une précédente espèce.
Ci-après une tentative de reconstruction de l’arbre des espèces en fonction des données disponibles. Évidemment, tout ça devient baroque à partir du moment où on ajoute les espèces des contrées souterraines (l’inframonde est un terme utilisé dans l’étude des mythologies pour parler de ces territoires). A un moment, on est obligé de dégainer des interventions magiques. Je préfère quand elles sont limitées, pour ne pas les galvauder, mais la high fantasy n’a pas trop ce genre de scrupules.

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Les cas particuliers
Le tieffelin est-il vraiment une espèce ?
Chaque individu est unique, avec un parent fiélon. Il me semble qu’on est sur un cas de mutation individuelle – quand bien même il en existe beaucoup !
On pourrait aussi invoquer le cas des hybrides stériles entre deux espèces proches, mais cela pose d’autres questions sur la nature des fiélons !
Ou alors… les tieffelins sont en réalité des humains … génétiquement modifiés. Un peu comme lorsqu’on intègre dans l’ADN d’une plante des propriétés d’une autre. Depuis CRISPR-Cas9, il est devenu plus facile de découper et recoller des bouts de génomes. L’ajout de cornes et d’une queue seraient les effets secondaires de cette opération sur les petits tieffelins. Toutefois, partir dans cette direction amène à d’autres questions en cascade : comment procède-t-on ? modifie-t-on alors des embryons pour les implanter ? Tout ça devient malsain (cela dit, les fiélons sont par essence malsains, on oublie juste d’y penser).
Que sont les drakéides ?
Les différences sont si importantes qu’il faut considérer ici une convergence évolutive (faculté à parler, bipédie…), ou bien une création magique d’émissaires conçus pour assurer par exemple la jonction entre le monde des dragons et celui des autres peuples.
Une niche écologique souterraine : les Nains
On observe une forte ressemblance avec les humains, mais une évolution pour s’adapter à un environnement souterrain. Il faut que ce domaine ait préexisté à l’évolution. Les ancêtres des nains se sont rendus dans ce milieu. Soit ils ont dû fuir une pression (prédateur, espèce rivale), soit ils ont trouvé là une niche écologique. Ils ont en tous cas gagné à l’affaire une spéciation suffisamment marquée pour être devenus une espèce nettement distincte (il n’y a pas d’hybridation avec l’humain). Faut-il compter des centaines de milliers d’années pour cette évolution ?
Leur vision dans le noir semble cohérente avec la thèse d’une évolution en lien avec un environnement souterrain.
Il y a d’autres questions comme « s’ils ont évolué largement sous terre et ils sont plutôt blancs, ce qui est plutôt une évolution pour synthétiser la vitamine D, mais s’ils sont tout le temps sous terre, ils ne risquent pas de voir le soleil. Alors comment échappent-ils au rachitisme ? ». Peut-être ont-ils évolué dans les hautes latitudes dans un premier temps (décidément, elles sont surpeuplées ! Est-ce que le monde était trop chaud à un moment pour repousser ainsi tant de population ?) … puis en alternant vie sous terre et à la surface, avec une mutation permettant de synthétiser la vitamine D sans soleil ?
D’autres mondes…
Ces divagations sur les espèces de fantasy sont une invitation à se saisir d’outils conceptuels (ici le croisement entre théorie de l’évolution et espèces jouables) pour enrichir les créations de monde, leur donner plus de profondeur et une identité propre, conscientisée, qui est véritablement le choix de l’auteur. Rien n’interdit de continuer à avoir des univers 100% magiques ! Ils « parlent » à beaucoup de gens, ils offrent du plaisir : ils sont pleinement légitimes. L’idée est plutôt de se laisser le choix de ce que l’on raconte, autant sur la partie accessible de l’univers de jeu, que dans le sous-texte.

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