Les thèmes d’articles inspirants sont parfois peut-être un peu inattendus. J’ai eu un gros coup de cœur pour un texte traitant des problèmes d’assurance et de réassurance dans le cadre du changement climatique. Je ne m’estime pas assez compétente pour avoir un avis éclairé sur ce qu’il faudrait faire, et en particulier sur les solutions concrètes pour résoudre le problème, qui s’inscrit dans un système complexe et en changement rapide.
En revanche, les problèmes qu’il pose m’amène à des réflexions sur la création de sociétés fictionnelles, et sur ce terrain, j’ai moins de scrupules à faire des propositions.
L’article à l’origine de cette discussion : « L’assurance ne prend plus de risque climatique » in Courrier international n°1744 du 4 au 10 avril 2024, p.34-35, d’après Financial Times (Londres) du 13 février 2024.
Sauf mention contraire, toutes les citations proviennent de l’article ici mentionné.

Le problème décrit
Le mécanisme d’assurance et de réassurance est sous grande tension du fait de l’augmentation des dégâts et de la fréquence des catastrophes naturelles : ouragans, incendies, inondations, orages. Cela entraîne des questionnements sur l’évolution de la situation dans les années qui viennent.
Le principe de l’assurance est de couvrir un risque incertain. A partir du moment où on a la certitude qu’un sinistre aura lieu, on sort en principe du domaine de l’assurance. C’est en substance le cœur du problème.
Tension sur la réassurance
C’est la quatrième année de suite que le montant global des indemnisation liées à des catastrophes naturelles dépasse 100 milliards de dollars – un montant qui marquait autrefois une année particulièrement mauvaise. Aux États-Unis, la réévaluation des risques se traduit par une forte augmentation des primes. Plusieurs grandes compagnies ne signent plus de nouveaux contrats d’assurance habitation en Californie. En cause : la hausse brutale des coûts de la réassurance – l’assurance des assureurs.
Le système est à plusieurs niveaux imbriqués :
- L’individu ou l’entreprise prend une assurance et verse une cotisation.
- La compagnie d’assurance se réassure
- Et si ça ne suffit pas, en cas de problème grave, l’État intervient en assureur de dernier ressort, ce qui implique une répercussion sur les impôts et les taxes.
Le coût de la réassurance atteint des sommets inédits. Les réassureurs ont aussi fortement relevé ce qu’ils appellent les “points d’attachement”, c’est-à-dire le montant des sinistres au-delà duquel le contrat de réassurance est activé. Résultat : les assureurs assument davantage de risques.
Les assurances sont des entreprises, elles ont un but lucratif et versent des dividendes à leurs actionnaires. Si les indemnisations sont plus importantes que les cotisations, elles perdent de l’argent, et à terme font faillite.
Les États attendent des assurances qu’elles remplissent leur rôle, mais comment faire quand des entreprises privées décident que le jeu n’en vaut plus la chandelle ?
L’exemple de la Virginie
[La Virginie n’était pas affectée auparavant] par des catastrophes naturelles massives, mais est habituée aux vents violents et aux inondations. À l’heure où le système climatique est perturbé et où s’aggravent les sécheresse et les précipitations, c’est l’un des nombreux États d’où se retirent les assureurs.
Traditionnellement, les orages violents étaient considérés comme des “risques secondaires” car ils ne provoquent pas de dégâts aussi massifs qu’un tremblement de terre ou un ouragan. “Il n’est plus possible de les qualifier de risque secondaire. […] Leur multiplication les place au même niveau qu’un violent ouragan, un cyclone tropical ou une tempête hivernale.”
Ces phénomènes sont en très nette augmentation, et c’est lié à l’augmentation de la chaleur et de l’humidité dans l’atmosphère.
L’exemple de l’Australie
Des projections suggèrent qu’en Australie, 1 foyer sur 25 se retrouvera sans couverture d’ici à 2030, et le pays dans son ensemble court le risque de « devenir rapidement une nation non assurable« .
Les conséquences d’une absence d’assurance
Outre le risque de pertes et destruction de ses biens (et donc d’appauvrissement direct) en cas de catastrophe naturelle, il y a des difficultés pour garantir les hypothèques. Les banques pourraient voir leur risque de crédit s’accroître.
Le risque ne touche pas que les particuliers. Si des entreprises sont touchées, elles auront du mal à obtenir des prêts des banques. Par conséquent, on peut anticiper un ralentissement économique et un appauvrissement des territoires qui ne peuvent pas être assurés.
Sur le volet du ralentissement économique en cas d’absence (ou de réduction) des crédits, la période récentes donne un aperçu des conséquences possibles. Marquée par de hauts taux d’intérêt et affectant les prêts (des particuliers pour acheter leur logement, et des entreprises pour développer leur activité), elle a posé des problèmes pratiques et perceptibles à l’échelle individuelle.

Des pistes pour des sociétés imaginaires à partir de cette base
Ces développements découlent des questions que je me posais en lisant et en prenant mes notes de lecture.
Et si… l’assurance était un service public directement assuré par l’État ?
J’entends par là un service public relevant directement de l’État. Dans cette société fictive, on considère que tout ce qui garantit le bien commun doit être contrôlé par l’État, et les assurances font partie de mécanismes qui protègent les individus ainsi que les entreprises. Dès lors les « cotisations » sont issues de taxes ou d’impôts (selon un modèle qu’on peut rapprocher de la Sécurité sociale).
Un tel système pose des tas de questions techniques (et certainement davantage quand on maîtrise réellement le sujet).
- Quels risques sont assurés par l’État (bien public) et quels risques sont laissés aux assurances privées ?
- Y a-t-il une limite à ce qu’on accepte d’assurer ? (le château d’un luxe fou, même en résidence principale, est-ce assurable par le contribuable ?)
- Afin d’indemniser moins, l’Etat sera-t-il hésitant à déclarer un état de catastrophe naturelle, ou bien sera-t-il très prudent sur les autorisations de permis de construire ?
- Déterminera-t-on un niveau de vie « moyen » garanti par l’État, et tout ce qui dépasse, « tant pis » en cas de perte ?
Et si… on avait une société partiellement assurée et partiellement non-assurée ?
Le tout dans une chronologie relativement resserrée pour avoir des enjeux dramatiques plus lisibles !
Certaines régions sont frappées régulièrement de catastrophes et on ne peut plus s’y assurer. Il en résulte un lent appauvrissement, et un exode des populations vers les régions encore stables. On a alors des modes de vie très différents entre les territoires climatiquement instables et ceux qui sont encore protégés, et dans lesquels on mène une existence comparable à la nôtre.
Dans notre monde actuel, les zones économiquement attractives sont fréquemment des rivages maritimes (submersion, érosion, tempête, ouragans). On peut aussi compter dedans les montagnes touristiques (chutes de pierres due à la fonte du permafrost). Quant à la rétractation de l’argile (fissures dans les bâtiments), les sècheresses, vagues de chaleur et incendie, j’ai plus de mal à les associer à des zones économiques bien identifiée, même si les îlots de chaleur urbain sont par définition urbain.
Je m’autorise le raccourci dramatique aboutissant à l’idée selon laquelle les territoires peu exposés dans le futur aux catastrophes climatiques sont possiblement peu nombreux et figurent rarement parmi ceux qui étaient attractifs jusque-là.
Les infrastructures de commerce international, qui étaient toujours plus grandes, deviennent difficiles à reconstruire dans les nouveaux secteurs. On en maintient certaines à bout de bras (le travail par 40-50°C en extérieur est bien pratiqué sur les chantiers de la péninsule arabe). On se retrouve avec des types de zones avec des ambiances très différentes :
- les infrastructures maintenues car indispensables pour garder la mondialisation précédente au maximum (câbles Internet, des ports, des aéroports etc.) ; la vie est acceptable pour ceux qui ont la clim’ ; l’environnement est essentiellement clos.
- les nouveaux lieux de vie (le Perche se repeuple d’un coup ! la Nouvelle Zélande, terre promise !) qui se perçoivent comme des forteresses à défendre et qui maintiennent le plus longtemps possible le confort des habitants
- les anciennes zones économiques non assurables, avec un petit air apocalyptique, en mode morne et abandonné, mais avec aussi des foyers de résilience.
- les anciennes zones à l’écart de la mondialisation, et uniquement exploitées pour leurs ressources (mines de métaux rares, etc.), où on est aussi en mode apocalyptique, avec des chefs de guerre se battant pour le contrôle des ressources, des bandes criminelles qui s’alimentent par la revente et ont donc à la fois des capitaux et des armes, qui leurs permettent de se maintenir dans une situation de dégradation de la production alimentaire (insécurité humaine et climatique)
Et si… on imaginait une société qui doit faire face au risque sans assurance ?
C’est le cas dans les zone non assurable du cas précédent, ou dans un ensemble post apocalyptique, avec un climat se manifestant par des catastrophes fréquentes. On peut imaginer un mode de vie centré autour de certains principes :
- Construire des logements avec des matériaux locaux, durables et peu coûteux, ainsi que des techniques nécessitant des moyens techniques limités. En cas de catastrophes, chaque communauté peut assurer les reconstructions.
- Éviter systématiquement les constructions dans des zones à risque élevé.
- Disposer d’espaces communautaires (des sortes de bunker-gymnase) pour abriter temporairement les personnes affectées par une catastrophe, le temps de reconstruire.
- Les biens de valeur doivent être aisément transportables ou pouvoir être rangés dans des coffres ou autre sécurisation. En cas d’alerte, tout ce qui est précieux doit pouvoir être mis à l’abri en un temps limité (plus ou moins court selon la nature du climat à affronter).
- Les systèmes d’alerte sont la norme, et permettent à chacun de vivre avec le risque, et évacuer quand c’est nécessaire.
Et en vrai, de quoi le futur sera fait ?
Je l’ignore ! Peut-être empruntera-t-il quelques ingrédients ici évoqués, ou peut-être sera-t-il très différent ! Nous verrons bien !
… en attendant, je vais peut-être m’informer, juste par curiosité, de la construction de yourte !…

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