Avec l’arrivée des Jeux olympiques à Paris, les revues traitent souvent du sujet, avec un angle dépendant de leur spécialité. Je doutais un peu de trouver des éléments utiles pour mes univers et recherches techniques. Un passage m’a néanmoins interpellée, car il traite d’un vieux serpent de mer : comment traduire des caractéristiques physiques selon que le personnage est de sexe masculin ou féminin ? Quelle incidence donner à la biologie ? Faut-il d’ailleurs s’en préoccuper ou l’ignorer ?
Les citations sont tirées de : Pour la Science Hors-Série n°124, août-septembre 2024,
- « Bonne santé et performance sportive sont indubitablement liées » entretien avec Claire Thomas-Junius, p. 26-31
- « La fin des records sportifs« , p. 96-103.
- « Les produits qui améliorent les capacités cognitives m’inquiètent plus que le dopage génétique« , entretien avec Michel Audran, p.104-108.

De quoi parle-t-on ?
Quelles influence sur les résultats sportifs ?
Le sport tel que nous le connaissons se développe à partir de la fin du XIXe siècle (entraînements, règles, fédérations, compétitions). Beaucoup de disciplines étaient au début réservées aux hommes, mais leur nombre se réduit progressivement. Certaines épreuves sont mixtes, comme l’équitation, ou des courses en équipe. La progression des records masculins et féminin est étudiée avec soin sur environ un siècle, et des questions demeurent sans réponse totalement assurée :
- Quelle est la part du biologique ? Il s’agit non seulement du sexe, mais aussi de la génétique. Certains gènes sont ainsi associés à de meilleures performances dans certains domaines, au point de laisser imaginer des « thérapies géniques » permettant de modifier les capacités d’un individu après traitement.
- Quelle est la part du temps de formation ? Si une personne commence à être entrainée plus tard qu’une autre, quelle est l’incidence ? Le retard peut-il être rattrapé ? De quelle manière joue le temps dévolu à l’entrainement ?
- Quelle est la part de la pression sociale, soit qu’elle encourage, soit qu’elle décourage par la stigmatisation ?
- Quelle est la part du matériel dans la performance ? Pour certaines épreuves, l’équipement joue visiblement, avec des changements mesurables sur les résultats d’un même individu.
- Quelle est la par des techniques d’entrainement1 ? Le changement d’une technique de saut (ou autre) peut modifier sensiblement les résultats sur la même discipline.
Les courbes de progression des résultats des sportifs et sportives montrent une stagnation depuis les années 1990. Sur les courses de vitesse, les courbes masculines et féminines sont visiblement distinctes. Il faudrait examiner des courbes plus nombreuses, traitant de différents sports pour avoir une vue d’ensemble, l’article consacré aux records reste un article, avec un signage limité.
Les études sur la performance
J’avais appris avec étonnement (il y a tout au plus quelques années) que les études médicales prennent habituellement comme modèle par défaut des hommes de type « caucasien ». Or les vulnérabilités physiologiques sont différentes selon les populations, et le sexe biologique (le risque de développer du diabète n’est pas le même, la vulnérabilité à l’alcool diffère, etc.). Je précise cet aspect, car il permet de mieux comprendre l’extrait d’entretien que je cite.
Pour nos études, nous recrutions uniquement des hommes entre 18 et 35 ans, pour écarter tout biais méthodologique. Et un jour, en 2012, tandis que nous cherchions des cyclistes pour les livrer à des tests extrêmement intenses d’une minute, s’est présentée une jeune fille, alors 4e au championnat du monde BMX… À part sa vitesse de sprint, inférieure à celle des hommes, puisqu’elle avait des muscles moins puissants, ses réponses physiologiques étaient identiques. Ainsi, nous avons décidé de l’intégrer à notre pool de sujets. C’était la première fois.
Depuis […] les groupes sont mixtes. Il en ressort que le métabolisme est équivalent, mais que les femmes sont moins sensibles à la douleur liées à l’exercice.
Jusqu’à 11-12 ans, avant la puberté, filles et garçons ont les mêmes capacités. Après, c’est la société qui impose tous ces stéréotypes de genre sur la différence entre les sexes, entre les qualités supposées des uns et des autres.
Claire Thomas-Junius est ancienne athlète de demi-fond, professeur d’université d’Évry Paris-Saclay et directrice du Laboratoire de biologie de l’exercice pour la performance et la santé.
Quelles applications en jeu?
Une égalité par défaut dans les règles…
Aucun jeu n’est prévu pour un niveau de simulation fin. De fait, plus on entre dans les détails, et plus le temps de résolution en jeu risque d’être ralenti, sans plus-value dramatique. Par défaut, les systèmes visent une égalité stricte. En revanche, en pratique, d’antiques statistiques réalisées par mes soins sur le générateur de personnage de Corahn-Rin pour le jeu Les Ombres d’Esteren montraient une tendance à orienter la composition du personnage en fonction de son sexe :
- La plupart des optimisations étaient proches (Voie, Désavantages)
- En revanche, les Avantages associés aux personnages féminins étaient :
- Belle,
- Lettrée,
- Intuitive
- Et un personnage masculin avait statistiquement :
- Lettré
- Fort
- Vif d’esprit
En somme, tout le monde apprenait à lire (Lettré), mais les femmes étaient du côté de la beauté et de la sensibilité, tandis que les hommes étaient plus forts et plus stratèges.
De cette expérience de dépouillement de registres de fiches de personnage, j’ai gardé l’impression que les représentations culturelles se fraient toujours un chemin. Ce n’est pas étonnant dans l’absolu, car le jeu de rôle manie l’imaginaire et évolue donc dans le monde des représentations, pour les reproduire ou les critiquer, ou un peu des deux.
Que pourrait-on faire en 5e édition ?
Donjons & Dragons 5e édition est un jeu à caractéristiques. J’ai quelques réserves sur le sens à leur donner dans le domaine « mental » et « social », mais ce sont des questionnements de comptoir rôliste, qui n’empêchent pas en pratique de jouer. De fait, les jeux à caractéristique sont courants, pour ne pas dire dominants :
- Donjons & Dragons (toutes éditions confondues, et toutes créations liées à la 3e édition et à la 5e édition)
- L’Appel de Cthulhu (pareillement, toutes éditions confondues)
- Le Monde des Ténèbres (là aussi, dans toutes les gammes)
Bref, si on souhaite intégrer les données sur les résultats sportifs à la création de personnage, on pourrait :
- Opter pour un bonus de +1 à +2 en Force pour les personnages masculins…
- …et +1 à +2 en Constitution pour les personnages féminins (la résistance à la douleur, l’espérance de vie plus élevée)
Cela serait-il satisfaisant ? Oui, et non. Oui, si on considère qu’on prend en compte un aspect en plus, et non, si on veut aller plus loin dans des considérations comme « oui, mais enfin, la métabolisation de l’alcool est moins bonne chez les femmes, et c’est de la Constitution aussi !« . Quelques facétieux trolls pourraient aussi suggérer de s’inspirer de l’illustre (hum) exemple de FATAL. Pour ceux qui ignoraient l’existence de cette mythique publication, vous pouvez découvrir sa fiche sur le GROG.
Avec ou sans carac’ mentales ?
Comment montrer et faire sentir l’intelligence ou le charisme ? Cette question amène à se questionner sur le sens et la place des caractéristiques mentales et sociales en JdR.
Comment traiter l’inné d’ailleurs ?
L’inné, ce n’est pas juste le sexe, mais aussi un vaste champ de prédispositions. Sur le plan de la résistance aux maladies, les différences sont aussi grandes qu’arbitraire, et c’est une pure loterie génétique.
On peut aussi prendre le problème différemment :
- Déterminer un maximum. Avoir du potentiel, c’est une chose, mais sans entrainement, il ne s’exprime pas. Avec cette lecture, et en reprenant l’exemple plus haut, le personnage masculin en 5e édition pourrait avoir un maximum de 21 en Force, tandis que le personnage féminin aurait un maximum de 21 en Constitution. En revanche, ni l’un ni l’autre n’aurait de bonus de départ.
- Utiliser des traits. On peut aussi considérer que les caractéristiques sont trop vastes. La Constitution en particulier détermine l’espérance de vie (grand âge), la résistance à la douleur, la résistance au froid, la résistance aux maladies, la résistance à l’alcool (et globalement à tous les produits toxiques). Si on a une approche par trait, celui-ci est nécessairement circonscrit. Le joueur choisit s’il veut être particulièrement résistant au froid ou aux maladies, car cela souligne l’histoire qu’il veut écrire.
Attendez, tout ça pour une seconde ?
Se casser la tête sur le système, c’est sympa, mais il faut aussi qu’une différence de caractéristique ou de traits soit mesurable en jeu. Alors, à supposer qu’on les introduise, quels seraient les changements ?
Comme les différences sont principalement du côté de la course de vitesse dans les textes lus, j’ai regardé l’historique des records sur Wikipédia. Sur le 100 mètres, Usain Bolt en 2009 est à 9s58 et Florence Griffith-Joyner est à 10s49 en 1988. Un peu plus d’une seconde.
Je crois… qu’on peut conserver des systèmes de création de personnage qui ne distinguent pas les capacités selon le sexe, et se contenter de laisser chaque joueur développer ses caractéristiques ou ses traits. Le combat contre une hydre infernale ne souffrira pas des approximations d’un système qui ignore une différence de record de moins de deux secondes.
… oui, tout un article pour conclure : « Non mais, le système fait le job en l’état. Utilisons tout au plus quelques traits pour détailler ».

- « La création de gestes techniques est une voie. L’exemple le plus frappant est l’invention du rouleau dorsal (Fosbury-flop) au saut en hauteur. Introduite dans les années 1970, cette technique a permis une nette amélioration des performances. Quatre ans à peine après son introduction par Dick Fosbury en 1968, 28 des 40 compétiteurs en saut en hauteur l’utilisaient déjà. Aujourd’hui, cette méthode, qui a permis de porter le record du monde à 2,45 mètres pour les hommes et à 2,09 mètres chez les femmes, est la plus couramment utilisée. » Vous pouvez lire l’article ici. ↩︎

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