Quand on écrit des histoires dans des cadres fictionnels, on se pose parfois des questions sur des sujets très terre à terre, comme les produits d’hygiène disponibles. Dans un monde qui n’a pas eu la même histoire que le nôtre, la disponibilité de certaines denrées alimentaires (chocolat, café, thé, tomate, etc.) n’est pas assurée, et le remplacement de celles-ci plonge dans des abîmes de perplexité.
Il en est ainsi des couleurs de peau. On est habitués à entendre « type caucasien » dans des films, ou « blanc » ou « noir », mais quand on y réfléchit ces expressions sont issues d’une histoire culturelle qu’on ne souhaite pas forcément reproduire dans tel ou tel cadre imaginaire. Cet article traite de deux pistes. L’une d’elle est utilisée pour In-Existence qui se déroule au Regenland, l’un des cadres de FIM ; l’autre est une découverte au détour d’un article. Pour une fois, je finirai sur l’article, car il me parait ouvrir davantage l’horizon en abordant la question d’une manière qui m’a agréablement étonnée.
L’univers FIM
FIM (ou Fortuna Imperatrix Mundi) désigne l’ensemble de mes créations, recouvrant d’une part un univers, et d’autre part un système. Cette page vous donne les clefs pour vous familiariser avec lui.
In-Existence
In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.
L’emprise de l’ogre
« L’emprise de l’ogre » est terminé ! 📚✨ Ce volume autonome de l’ensemble In-Existence est disponible à la lecture !
Les citations d’article sont tirées de : « Soudan. Les nuances de la peau noire » in Courrier international n°1748, du 2 au 15 mai 2024, d’après Raseff22 (Beyrouth) du 19 mars 2024. Les citations de roman sont issues de L’emprise de l’ogre.

🔷 Des nuanciers de teint numéroté
Au Regenland, la population descend de colons artlandais, et eux-mêmes sont issus de métissages entre les îliens du territoire nommé « Artland » au moment où l’on y joue, des réfugiés sagrebi et divers voyageurs. La dominante des couleurs de peau est claire, mais les brassages n’ont rien d’exceptionnels.
Pour certains passages, je vois que j’avais opté pour la comparaison avec des éléments matériels (suie, vieux cuir tanné, …) :
Un monstre qui avait dû être humain s’approcha d’eux. Pour un peu, il aurait pu être un modèle pour une nouvelle version de l’ogre. Sa peau pâle était couleur de vieux cuir finement tanné. Ses yeux étaient complètement noirs. Les vêtements de ville qui lui restaient étaient élimés et perdaient substance. Ses mains paraissaient couvertes de suie. Un éclat de verre dépassait de son cou – sans doute un vestige de la blessure qui lui avait coûté la vie. Depuis cette plaie, les veines étaient dessinées comme en esquisse d’aquarelle.
Pour la Voyageuse, le trait le plus distinctif est d’être effacée ou délavée, désaturée, décolorée.
— Un teint très pâle, se souvint Lewis, ça m’a frappé. On aurait dit qu’elle n’avait pas vu la lumière depuis longtemps. Taille moyenne, silhouette fine sans être maigre. Des cheveux libres qui lui arrivaient jusqu’aux épaules. Ils n’avaient pas vraiment de couleur. Sur le coup, ça ne m’avait pas marqué. Ils étaient… ni vraiment blond foncé ni châtain clair… une sorte de gris. Ce n’est pas commun à son âge. Mais ça formait comme un tout. Quoi d’autre ? Des traits fins et réguliers.
Je me suis demandée comment la police ou d’autres administrations géraient les descriptions, et j’ai ajouté un système de nuancier numéroté de 1 à 5. Sur le coup, ça me paraissait pratique et concis.
Fébrile discutait avec Momie. Il était facile à reconnaitre avec son crâne rasé et ses cicatrices. Oh. Il y avait un autre gars en noir, visage masqué et casquette avec visière rabattue sur les yeux. Avec sa silhouette sportive et son attitude vigilante, il aurait pu être du métier. Difficile de le décrire à part ça. Quelques mèches de cheveux très sombres, un teint… Entre 2 et 3.
L’échelle des teints était utilisée par la police pour dépeindre un individu. Elle allait de 1 (le plus pâle pour un humain vivant) à 5 (un bistre profond). Il y avait parfois des précisions supplémentaires (rosé, doré ou olivâtre) pour compléter les nuances médianes.
En cherchant des illustrations pour l’article, je suis tombée sur un article de blog à propos d’un anthropologue du XIXe siècle qui avait également opté pour des numérotations afin de décrire les couleurs des yeux et de la peau. Note : quand on pense avoir une idée, il est possible (et parfois très probable) que d’autres en aient eu une similaire. En vérifiant ce qu’un moteur de recherche pouvait me dire sur « Paul Broca – Instructions générales pour les recherches anthropologiques à faire sur le vivant – Paris, Masson, 1879.« , j’ai trouvé l’ouvrage sur Gallica, mais une version en noir et blanc, compatible OCR à 89% (pour ceux qui veulent faire des recherches dans le texte plutôt que de feuilleter manuellement l’ouvrage). Il s’agit d’un ouvrage visant à cataloguer, noter, mesurer, classer… La seule lecture du sommaire vaut à mon sens le détour, tant il parait obsessionnel du détail et dégageant une saveur d’une autre époque.

🔷Le cas des tons de peau au Soudan
L’article cité s’intéresse aux couleurs de peau et au métissage au Soudan, ainsi qu’aux attitudes à l’égard des individus concernés. Dans le cadre de la création de cadres fictionnels, les discriminations et privilèges éventuels sont l’affaire de choix dramatiques qui peuvent varier du tout au tout. Je relève ici un registre de couleurs qui sort des photos en noir et blanc pour aller ouvrir un champ plus chatoyant :
Les Soudanais n’utilisent presque jamais l’adjectif “noir” pour décrire la couleur de peau ! […] Les Soudanais à la peau extrêmement claire sont dits “rouges”– en référence à la nuance rougeâtre de certains teints très pâles. […] Puis il y a les Soudanais dits “jaunes” […]. Cette catégorie désigne ceux dont la blancheur contient une pointe de jaune ; c’est la carnation la plus répandue parmi les populations du Golfe. […] Il existe aussi les couleurs “lie-de-vin” ou “blé” qui sont les nuances les plus claires de la peau foncée. […] Si le taux de mélanine d’une personne est important, on dit qu’elle est de couleur “verte”. […]“Sa verdeur est rafraîchissante”, peut-on ainsi entendre dire d’une femme, ce qui signifie que sa peau foncée est pleine d’éclat, comme un fruit mûr. […] Ensuite, il y a les Soudanais “bleus”, dont la pigmentation noire bleutée évoque […] les teintes des ciels nocturnes
J’en retiens qu’il est utile d’avoir de l’ordre de cinq termes pour nommer les teints. Les dégradés fonctionnent, mais on peut aller chercher des options de qualification qui donnent plus d’identité à chaque groupe de population, ou chaque individu (quand la population est fortement métissée, à l’instar du Soudan évoqué dans l’article).
Et là, on ne parle que de couleurs de peau humaines ! S’il faut considérer des mondes où les drows ont des nuances de teint bleu-violet, alors logiquement ils ont des manières de se désigner et de distinguer les variantes ! L’enjeu en création d’univers est donc double : le nom du teint, et la valeur qu’on y associe.
La valeur peut être aussi le résultat de jugements esthétiques et de classe. Avant les années 1920-1940, le bronzage désignait plutôt les travailleurs en extérieur. Conserver un teint clair et délicat passait notamment par l’usage d’ombrelles. Par la suite, le même bronzage a pris le sens de « je suis assez aisé pour m’offrir des vacances au soleil ».
Les détails culturels relatifs à la dénomination du teint et à ses variations saisonnières ne bouleverseront pas une campagne épique, mais ils peuvent contribuer à apporter de la nuance et de la profondeur au monde.

Laisser un commentaire