La lecture qui m’a inspiré cet article de blog m’a paru intéressante en réflexion de création d’univers, mais aussi en méthode de travail. En ouvrant mes fichiers de prise de notes dédiés aux ressources pour la science-fiction (chimie, biochimie, physique des matériaux, etc.), j’ai retrouvé des notes portant sur des articles de 2012 et 2014 que j’ai pu ainsi confronter à cette interview de 2024. Il y a un petit côté de mise en abime entre ce qui était espéré, et ce qui est effectif actuellement.
Un autre aspect qui me parait intéressant tient à ce que je ne suis pas convaincue par tous les aspects du raisonnement Marc Fontecave, mais que cette contradiction pose des questions et défis stimulants en conception d’univers.
Les références et citations sont tirées de : « Le défi est d’alimenter sans pétrole ni gaz la part non électrifiable de nos usages » interview de Marc Fontecave in Pour la Science n°563, septembre 2024, p. 62-69.

🔷Détour par la méthode
Croisement de notes
La notion de « chimie verte » m’était familière, j’étais sûre de l’avoir quelque part. Un « control+F » dans le fichier m’a permis de retrouver rapidement l’emplacement. Cela m’a permis de relire les données déjà présentes. La mention dans l’article des carburants d’algues m’a également amenée à vérifier d’autres antiques notes. J’ai déterré ainsi deux lectures de 2012 et 2014 :
- « Micro algues : les carburants du futur ? » par Philip Pienkos, Lieve Laurens et Andy Aden, in Pour la Science n°419, septembre 2012, p.60-67.
- « Qu’est-ce que la chimie verte ? » par Laura Maxim, in Pour la Science n°441, juillet 2014, p.14-17.
Sur les sciences naturelles, c’est intéressant, car on voit l’évolution de la recherche. En sciences humaines, le contraste est moins frappant, mais j’ai parfois ajouté des repentirs ou des nuances dans mes notes. Cependant, j’ai l’impression que le rythme est plus lent. Comme en mathématique d’ailleurs, des observations des années 1920-1940 peuvent être encore valables en anthropologie.
J’ai l’impression que les données de sciences humaines sont surtout viciées quand l’auteur se laisse aller à vouloir démontrer une idéologie (préjugés généraux, croyances religieuses ou à tendance occultiste). Sauf découverte fracassante (datation revue ou nouveau squelette, comme en paléontologie) ce sont donc essentiellement des questions de méthode qui permettent de distinguer un texte fiable sur le plan scientifique en sciences humaines, d’un autre qui tient plutôt de l’essai philosophique.
Si ces questions de méthode vous intéressent, ces thèmes sont déjà abordés en profondeurs dans des ouvrages précédemment évoqués en mythologie comparée.
Bibliographie en mythologie comparée
Cet article présente des ressources en mythologie comparée et pour mieux comprendre les mythologies contemporaines qui sont très présentes dans la fantasy et la science-fiction.
Digression sur les prises de note
La semaine passée, l’un de mes contacts me faisait part de sa satisfaction à utiliser désormais Obsidian pour ses prises de notes. Étant friande d’outils et de méthode, j’y ai jeté un œil. L’outil le plus intéressant pour mon usage était un nuage de points et des signalements automatiques des notes précédentes sur même thème.
Je procède à ce rassemblement de manière manuelle, au travers de civilisations (rassemblement par ambiance) et de fichiers de synthèse sur des thèmes transversaux (démographie, mythologie comparée, etc.). Évidemment, avoir un outil qui montre directement les liens est séduisant ! En revanche, la perspective de convertir des centaines de pages sous Word (avec feuille de style affinée et notes de bas de page) en fichier de texte plus basique me fait frissonner d’effroi, et j’ai très vite renoncé à cette idée.
Depuis deux ans, j’ai également augmenté la part du papier dans mes travaux de réflexion, avec un faible pour les cahiers séduisants (ça motive à écrire) avec renfort de crayons de couleurs notamment (je suis un peu fashion victim des instruments d’écriture. Ce support ne me sert pas pour l’accumulation « brute » ou les textes « raffinés », mais pour les phases de réflexion préalable, avec une orientation « Mind Map » ou « Cartes heuristiques« .
🔷Quelques notions de chimie
L’article point de départ est une interview qui traite beaucoup de chimie. Je commence par les notes techniques, visant à poser les notions. Cela me parait utile pour tous ceux qui, comme moi, n’ont pas vraiment de bases dans le domaine. Les dérives sur la création d’univers arriveront ensuite.
L’auteur
L’auteur est professeur au Collège de France ; ses travaux sont cofinancés par Total ; il s’est fait remarquer tôt en énonçant que l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C était impossible (je résume des éléments dans l’interview, je n’étais pas au courant de son parcours).
Les cours tenus au Collège de France sont accessibles en ligne : chaire de Chimie des processus biologiques. Il y a beaucoup de vidéos de séminaires avec des intervenants autres. Je n’ai pas encore fouillé dans le détail (il y a des dizaines d’heures).
L’éthylène
L’éhylène est la molécule la plus produite sur Terre par l’industrie chimique (2024). Il permet ensuite d’obtenir un très grand nombre de molécules utilisées pour produire des plastiques, des carburants ou des médicaments.
L’un des enjeux de la recherche en chimie vise à produire de l’éthylène à partir du CO2 et d’électricité bas carbone. Il s’agit donc en substance de passer de {pétrole → éthylène → carburant → CO2} à {CO2→ éthylène → carburant → CO2}. Des travaux en laboratoire sont prometteurs, avec au moins deux modalités explorées.
L’importance des catalyseurs
« Dans le monde biologique, il n’y aurait pas de vie sans catalyseurs – qu’on appelle “enzyme”, dans le domaine du vivant – parce que les réactions, sans catalyse, n’iraient pas assez vite pour soutenir la vie. »
Dans la chimie industrielle, « au cours d’une réaction, on casse d’innombrables liaisons chimiques et [on] en reconstruit d’innombrables autres. Les possibilités de cassure et de reconstruction sont multiples, donc il faut quelque chose pour orienter ce bilan dans le sens voulu, sans quoi on n’obtiendrait que d’infâmes mélanges de molécules non désirées. Ensuite, l’objectif d’une réaction chimique industrielle, c’est non seulement qu’elle soit sélective, mais aussi rapide et efficace. »
Il y a deux type de catalyse :
- Homogène : le « réactif et le catalyseur sont en solution » ; c’est le cas dans la catalyse enzymatique. La biotechnologie utilise « les organismes vivants eux-mêmes : c’est “l’usine cellulaire” qui est alors exploitée, en général après manipulation génétique, de façon à lui faire surexprimer une enzyme d’intérêt. » Les bactéries font l’objet de recherches importantes dans ce domaine. « Pour réaliser des enzymes artificelles, l’idée est, par des méthodes de chimie moléculaire, de produire de petits catalyseurs moléculaires de synthèse et de les assembler avec des protéines. Cela donne une enzyme qui n’a jamais existé, mais qui se comporte quand même comme une enzyme, puisque, […] c’est une protéine contenant un composant qui favorise une réaction chimique »
- Hétérogène : « les réactions se passent à la surface d’un solide, les réactifs étant en phase gazeuse ou en solution. À la surface du catalyseur, il y a des modifications électroniques qui amènent les réactifs à réagir davantage, plus vite, ensemble, dans un sens donné. La catalyse hétérogène est la plus importante aujourd’hui, en laboratoire et dans l’industrie ».
Chimie bio-inspirée
« L’analyse d’une réponse naturelle biologique donne la possibilité de la traduire par une molécule qui lui ressemble et qui, par cette ressemblance, est susceptible d’avoir les mêmes propriétés biologiques. »
« Si vous vous demandez comment transformer A en B et trouvez que dans la cellule de tel organisme, il existe une enzyme avec son cofacteur qui, justement, catalyse cette réaction A à B, vous avez une solution. [Si] vous êtes un biologiste, [vous] serez surtout tenté de surexprimer dans une cellule le gène qui code pour l’enzyme et utiliser l’usine cellulaire. [Si] vous êtes un biochimiste, vous purifiez la protéine en grande quantité, et c’est elle que vous utilisez. [Si vous êtes un chimite bio-inspiré] vous cherchez à comprendre la structure et les mécanismes de l’enzyme et son cofacteur à l’échelle atomique, pour construire, rationnellement, un système, plus simple, qui y ressemble. »
Une approche bio-inspirée n’est pas nécessairement verte.
Les principes de la chimie verte (notes de 2014)
La chimie verte est une démarche de la chimie de synthèse, une forme d’éthique par laquelle ceux qui s’y adonnent cherchent à :
- Obtenir une substance qui remplit une fonction utile ;
- Le faire à moindre coût ;
- Sans que la substance soit une source de danger (substance explosive, inflammable, toxique, nuisible à l’environnement…).
La chimie verte est organisée d’un point de vue pratique autour de douze principes :
- Prévention. Il vaut mieux éviter la production de déchets qu’investir dans leur élimination.
- Économie d’atomes et de réactifs. Les synthèses doivent optimiser l’incorporation, dans le produit final, des matériaux utilisés au cours du procédé.
- Synthèse moins nocive. Les méthodes de synthèse doivent utiliser et créer des substances faiblement ou non toxiques pour les humains et pour l’environnement.
- Produits moins toxiques. Pour une fonction donnée, les produits chimiques doit être conçus de façon à minimiser leur toxicité.
- Solvants moins dangereux. Lorsque c’est possible, éviter l’utilisation de substances auxiliaires (solvants, agents de séparation…) ou utiliser des substances inoffensives.
- Économie d’énergie. Les besoins énergétiques des procédés chimiques ont des impacts sur l’économie et l’environnement et doivent donc être minimisés. Les méthodes de synthèse devraient avoir lieu à température et pression ambiante.
- Ressources renouvelables. Lorsque c’est faisable d’un point de vue technique et économique, les matières premières utilisées doivent être renouvelables.
- Moins d’agents auxiliaires. Lorsque c’est possible, tout écart inutile au schéma de synthèse (utilisation d’agents bloquants, protection / déprotection, modification temporaire du procédé physique / chimique) doit être évité.
- Catalyse. Les réactifs catalytiques les plus sélectifs possibles sont plus efficaces que les réactifs stoechiométriques[1].
- Dégradation. Les produits chimiques doivent être conçus pour se dissocier en produits de dégradation non nocifs à la fin de leur durée d’utilisation, évitant ainsi leur persistance dans l’environnement.
- Contrôle en temps réel. Des méthodologies analytiques doivent être développées afin de permettre une surveillance et un contrôle en temps réel des procédés, avant qu’il y ait apparition de substances dangereuses.
- Limiter les accidents. Les substances utilisées dans un procédé chimique et leur forme devraient être choisies de façon à minimiser les risques d’accidents chimiques incluant les rejets, les explosions et les incendies.
[1] Marc Fontecave dans « Le défi est d’alimenter sans pétrole ni gaz la part non électrifiable de nos usages » intervieux de Marc Fontecave in Pour la Science n°563, septembre 2024, p. 62-69 précise : « Dans les procédés catalytiques, il s’agit de substituer aux métaux nobles (palladium, ruthénium, rhodium…) des métaux moins nobles, comme le fer, le manganèse… »
Le palladium est un enjeux important actuellement. C’est un catalyseur si exceptionnel qu’on le retrouve partout, mais il est horriblement coûteux et il pose par ailleurs des questions stratégiques (mines en Russie) : « La malédiction du palladium » in Pour la Science n°541, novembre 2022, p. 58-64. « L’écocatalyse utilise les plantes pour recycler le palladium » in Pour la Science n°541, novembre 2022, p. 65-71.
🔷Les questions en création d’univers
Se donner le droit de penser des changements
Dans l’interview, Marc Fontecave s’interroger « Comment alimenter sans pétrole ni gaz la part non électrique de notre énergie ? Sachant qu’il s’agit de choses incontournables, notamment des moyens de transport qu’on ne pourra pas électrifier, ou bien pour lesquels on ne pourra pas utiliser d’hydrogène. Ce sont aussi des produits, des polymères, des médicaments, des solvants, des habits… à l’évidence carbonés ».
Les éléments de réponse me paraissent diffus dans le texte. Pour l’essentiel, je retiens :
- Il n’y a pas de perspective crédible pour des avions longs courriers fonctionnant à l’hydrogène ou à l’électricité dans l’immédiat, avec les technologies connues. J’avais vu la même affirmation notamment dans le Podcast Chaleur Humaine (Le Monde).
- En remplaçant les énergies fossiles par de l’électricité, il faut prévoir énormément de production électrique.
La perspective de l’interview m’a donné l’impression que le chercheur travaille sur des projections de hausse de consommation et d’usages actuels, sans envisager d’alternative. Or, on limite beaucoup ses options en se contentant de l’état actuel pour tracer une ligne.
Transport aérien
Dans le cas de l’avion, les longs courriers bloquent effectivement sur le passage à une autre énergie que le kérosène. À aucun moment n’est questionné le nombre de longs courriers ou un ralentissement des déplacements. Or ce sont des aspects envisageables, et dans le cas d’une création fictionnelle, c’est un levier qu’on peut utiliser sans effort.
- Un cadre pourrait ne connaitre que le zeppelin et des voyages aériens lents, tandis que le train serait le moyen de locomotion le plus rapide, avec de super express traversant des continents entiers.
- Les avions rapides pourraient être réservés à des usages stratégiques : chefs d’État, armée, affaires. Le tout venant aurait à faire des escales et voyager lentement.
Les carburants de microalgues, à la poubelle ?
Les microalgues dans mes notes de 2012 (je ne sais pas quelle partie est tirée de l’article directement et quelle autre est un résumé) : « Certaines espèces d’algues ont une teneur élevée en lipides, exploitables pour obtenir un carburant de type biodiesel. La quantité d’algues cultivables par hectare est importante et l’algue n’entre pas en compétition avec les usages alimentaires tout en étant cultivables sur des surfaces impropres à l’agriculture. Différents types d’eau sont utilisables : douce, saumâtre, salée, et même des eaux usées. Une fois les huiles algales extraites par des solvants organiques ou d’une autre façon, la biomasse restantes est constituée d’hydrates de carbone et de protéines en quantités approximativement égales. Il est possible de les utiliser pour produire du méthane par digestion anaérobie en mélangeant des micro-organismes à la biomasse ; ou de l’éthanol par fermentation. Les protéines peuvent servir à l’alimentation du bétail, des poissons de pisciculture ou de l’humain. »
Marc Fontecave signale : « ça ne fonctionne pas bien, et […] c’est trop cher. En 2013, […] je mentionnais l’annonce du pétrolier Exxon de vouloir investir 600 millions de dollars sur les microlalgues. Quatre ans plus tard, Exxon a abandonné. L’entreprise a dépensé 100 millions de dollars ».
En lisant la presse scientifique ces dernières années, j’ai l’impression d’avoir vu régulièrement des mentions d’idées qui paraissaient prometteuses, puis qui ont connu une désaffection, jusqu’à ce qu’un déclic permette de les faire aboutir. Je suis incapable de dire si le potentiel des algues est surévalué ou pas. En revanche, une durée de 10 ans semble rarement assez longue pour faire vraiment le tour d’un domaine d’étude, surtout nouveau. J’aurais donc tendance à ne pas mettre les algues à la poubelle dans le cadre de science-fiction usant de technologies de « futur proche à moyen ».
Déchets plastiques
De même la question des déchets plastiques est totalement passée sous silence. En parallèle, les études pointant des problèmes sur les nanoparticules issues de la dégradation du plastique se multiplient, avec des questions sur la santé humaine comme animale. Une poursuite des usages à l’identique est problématique, et la chimie a un rôle majeur à jouer dans ce domaine. En cadre fictionnel, les solutions diffèrent selon le stade technologique qu’on prend comme référentiel.
- Avant le plastique : il y a eu un monde avant le plastique ! Mais si j’en juge par les articles dans Archéologia sur les fouilles d’anciennes décharges, on avait quand même déjà une surcharge d’emballages clinquants dans les années 1920. Par ailleurs, la céramique est durable (garantie plus de 1000 ans ! ) mais si elle est cassée, on n’a pas grand-chose à faire à part la réduire en fragments et gravats. Il faut aussi faire attention aux produits utilisés pour l’émail (personne ne veut du plomb dans son eau potable). Dans le cas du Regenland, j’ai opté pour la radicalité : le plastique n’est autorisé que pour des usages stratégiques (armée, recherche fondamentale) ; par ailleurs les emballages sont standardisés et il y a donc une augmentation de la possibilité de remploi.
- Après le plastique : une fois la boite de Pandore ouverte, que faire ? Le plus simple est déjà de limiter ses usages à des objets durables. Ensuite, il faut des formules de plastique standardisés et choisis avec soin pour permettre leur recyclage. Enfin, il faut un système dans lequel le recyclage est économiquement viable à l’intérieur même du pays, pour ne pas se retrouver dans la situation actuelle où une partie du « recyclage » ressemble à un export simple de poubelles dans des pays pauvres. Dans une optique de science-fiction plus avancée, on pourrait imaginer des bacs de poubelle avec dedans une sorte de « soupe » de bactéries qui décomposent le plastique. L’ensemble fonctionnerait sensiblement sur le principe d’un composteur. Si la structure est relativement compact et sans risque important (explosion, émanations toxiques), elle pourrait être présente en ville, et le travail de récupération des déchets se limiterait alors à vérifier que les substances diluées circulent dans des tuyaux dédiés jusqu’aux usines récupérant la nouvelle matière première pour la filtrer.
La chimie est centrale dans le cas « post-plastique » pour faire fonctionner correctement l’écosystème artificiel.
Vorace en électricité
Des besoins massifs en électricité sont évidents s’il faut remplacer à l’identique les usages des carburants issus du pétrole par de l’électricité, et cela pose dès lors la question de la production de cette même électricité. Or la nécessité même des besoins n’est pas questionnée. Aucune alternative, aucune optimisation n’est envisagée. Le raisonnement porte sur une société à l’identique qui aurait exactement la même organisation et les mêmes besoins dans 20 à 50 ans.
Si on se libère des contraintes de « comment faire accepter ci ou ça » et qu’on part en cadre fictionnel pur, la question de l’électricité peut être traitée plus librement.
- Des inventions minimalistes sont régulièrement présentées pour permettre d’avoir de la lumière dans des zones sans accès au réseau électrique. Le documentaire « Le changement par le design » évoque ainsi une création du designer Tobias Trübenbacher qui a conçu une lampe transformant l’énergie de la chaleur (bougie, poêle) en électricité. Le principe est simple et nécessite peu de matériel, de sorte qu’on peut l’imaginer à partir d’une civilisation de style XIXe s. En substance, si on limite le nombre d’appareils électriques, il est possible d’avoir des communautés pionnières plutôt bien équipées avec leurs propres ressources.
- Le numérique (serveurs) est le poste qui connait la plus grosse augmentation de consommation électrique. Les IA génératives accessibles au grand public ne datent pas de très longtemps, mais elles coûtent beaucoup, tout comme les vidéos en ligne. Dans un cadre fictionnel, on peut supprimer directement les vidéos de chatons (si ! on peut !), réduire les réseaux sociaux à son et image fixe, ou les couper totalement. On peut aussi avoir des solutions un peu baroque : tout peut exister, mais on supprime automatiquement tous les 3 ans et les archives sont donc strictement privées, limitées aux gens qui peuvent stocker chez eux, en produisant leur propre électricité. Il y a aussi des solutions sur le prix : le service n’est plus « gratuit », l’utilisateur paie pour le stockage de ses données, à proportion de celles-ci.
- Du côté du transport et du problème de la voiture électrique, si on remonte un peu le temps, on voit que les villes étaient pleine de tramways jusqu’à l’essor de la voiture individuelle. On peut alors imaginer qu’en fait, la voiture existe, mais que l’urbanisme n’a jamais pris le virage vers le « tout voiture ». Les seuls utilisateurs de voitures sont donc les taxis, les livreurs, les personnes ayant à zigzaguer dans la campagne profonde, la police, les pompiers… Et même du côté des livreurs, tant que la livraison est dans une zone urbaine, on peut envisager des véhicules électriques léger (donc moins consommateurs). Le poids des véhicules étant un problème pour contrôler la consommation d’énergie, il peut être règlementé, et la location pour les usages ponctuels, être plus importante.
Le danger
Le chercheur critique de la sécurité de sites de production et de stockage de l’hydrogène figure, mais des problèmes de sécurité (santé des populations, environnement et danger formel d’explosions ou de déversements) existent dans toute l’industrie pétrolière et chimique associée. Et cela, ce n’est que le danger direct, car en l’état, les augmentations d’intensité des inondations et des sècheresses (perturbations du cycle de l’eau issues du changement climatique) constituent un problème coûteux à l’échelle mondiale. Parler de risque est pertinent, mais rien dans le propos ne permet d’être convaincue que l’hydrogène est objectivement plus dangereux que les solutions actuelles.
En cadre fictionnel, le danger est une bonne chose : s’il n’existait pas, on manquerait d’occasion d’aventures. De ce point de vue, une explosion de stockage ou un incendie de zeppelin ne sont pas du tout des problèmes.
De manière plus prosaïque, je ne connais pas de société dépourvue de risque qui lui soit propre. Chasser le mammouth est dangereux, accoucher hors d’un hôpital est dangereux… Même passer sa journée assis devant un ordinateur est mauvais pour la santé ! Il reste à déterminer ce qu’on estime acceptable dans la société que l’on conçoit.
Pour reprendre l’exemple du Regenland, j’ai fait des « économies budgétaires » notamment sur le système de santé. Si vous habitez dans les wilden (en gros, en mode semi-autarcique avec des ours dans le voisinage), l’hôpital le plus proche est loin. Dans la droite ligne de la réduction de la dépendance aux produits pétroliers, il y a beaucoup moins de médicaments. Dans la lutte contre les bactéries, la médecine a misé sur les bactériophages (virus mangeurs de bactéries), ce qui est efficace, mais plus lent et complexe à gérer que les antibiotiques (mais il n’y a pas d’antibiorésistance). Quant aux urgences, elles sont en tri d’office des patients : si pas de risque vital ou de dégradation rapide de l’état de santé en l’absence de prise en charge, vous êtes automatiquement réorientés.
Assurance et résilience
Un exemple d’utilisation d’inspirations issues du monde de l’assurance face au changement climatique pour créer des cadres fictionnels.
Faut-il reboucher les mines naines ?
Une histoire de mine de lignite dérive vers des questions sur la faisabilité des cités minières naines et sur les institutions à même de gérer les conséquences sur le long terme des activités extractives.
On voit ici de multiples curseurs touchant au quotidien. Il y a de nombreuses solutions possibles. De fait, il est possible de les faire coexister dans le même monde : ce sont alors différentes civilisations à niveau technologique comparable, chacune explorant une voie, tout en regardant du coin de l’œil ce que la voisine prépare ou les difficultés qu’elle rencontre.
Lors d’une création d’univers fictionnels, nous avons un monde en éprouvette : il n’y a pas à se soucier des dégâts précédents, des tensions sociales, des dettes accumulées. Nous pouvons partir d’une feuille blanche et se demander ce qui pourrait être fait. Le but n’est pas de créer des royaumes d’Utopie, mais des cadres vivants et intellectuellement stimulants. Il y a un énorme travail de conception à mener pour proposer des sociétés :
- …d’une technologie XIXe à XXIe s. (ou combinant des composantes ingénieuses sur ces périodes, voire antérieures)
- …soucieuses de ce qui parait acceptable ou souhaitable « maintenant » (c’est le côté subjectif de l’exercice et qui aboutira logiquement à une grande variété de propositions)
- …qu’on ait envie de visiter, d’explorer, de vivre (elles ne doivent donc pas être ennuyeuses, et permettre à des sensibilités différentes de s’épanouir)
- …qui offrent des questions intéressantes sur leurs conflits. Aucune société à ce jour n’en a été dépourvu, mais les manifestations sont différentes, et offrent des problématiques stimulantes à résoudre.


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