Le sujet du droit en jeu de rôle est, dans mon expérience, très éloigné des situations de jeu, tout comme de la création des cadres fictionnels. C’est compréhensible, étant donné que cette matière n’est pas vraiment enseignée hors des cursus dédiés. Par ailleurs, la manière de l’enseigner peut être assez austère et très technique, donnant l’impression d’un domaine totalement hermétique à l’imagination.
Il me semble qu’il y a pourtant matière à penser le droit de plusieurs manières dans les créations fictionnelles. Il soutient l’ambiance, crée des injustices (aux yeux du joueur, et donc un moteur de motivation), des enjeux stratégiques (pour des détectives privés par exemple), fournit des dilemmes. Le droit d’une civilisation fictive peut être « juste », « ambivalent » ou « foncièrement inique » selon vos valeurs. L’enjeu en création d’univers est de poser les lignes directrices, et quelques points plus précis les illustrant, correspondant à ce qui sera utilisé en jeu.
Les références et citations sont tirées de : « Au procès des viols de Mazan, les accusés plaident le « viol sans intention de le commettre » » in Le Monde samedi 28 septembre 2024, 11h57.

🔷 Point de départ de la réflexion
Le point de départ à l’origine de cet article est une actualité dont certains aspects ont fait écho à d’autres lectures et à mon expérience d’écriture sur des scénarios.
Digression sur les violences sexuelles en scénario
Je suis essentiellement les actualités via la presse écrite, parce que je peux prendre mon temps, prendre des notes, fouiller dans les archives pour regarder les débuts des affaires. Les chroniques judiciaires par exemple constituent une source de documentation pour des situations de scénarios, des historiques de protagonistes, mais aussi pour penser les civilisations. Tel type de crime serait envisageable dans un contexte XIXe, ou durant la Prohibition (ou analogue), d’autres peuvent s’imaginer dans plusieurs époques, au prix de menues adaptations.
Le procès de Mazan voit la mise en œuvre de stratégie de défense fondées sur l’absence d’intentionnalité de commettre un viol. La thématique même du viol a peu de chance de servir en contexte de jeu de rôle (hors horreur), car évacuée des scénarios pour le malaise qu’elle peut susciter. Le meurtre, la torture ou les supplices médiévaux sont en revanche monnaie courante, au point de paraitre sans grande gravité (les témoignages de victimes de torture et de survivants de massacres ne disent pas ça). Mon expérience dans ce domaine (disons depuis 2012 avec la V1 du manuscrit d’Occultisme pour les Ombres d’Esteren) a été marquée par des étapes qui nourrissent sans doute ma réflexion actuelle.
- Le scénario « Chambre bien rangée » pour Occultisme (rédaction 2012 +2014 ; publication 2017 ; fiche GROG assortie d’une critique peu convaincue) est un des plus sombre que j’ai écrit. Il a pour point de départ : (1) le cas de parents d’enfants décédés qui conservent leur chambre en l’état ; (2) la question de la limite entre culpabilité et innocence. Afin de limiter la noirceur et de suivre le principe de modularité, trois coupables sont envisagés pour le premier meurtre : un monstre (aucun problème moral) ; une bande du quartier (meurtre et viol, avec des faits inspirés de beaucoup de cas, notamment des témoignages en Amérique latine qui m’avaient marquée) ; et un membre de la famille, lui-même victime dans son jeune âge. Mon éditeur m’avait demandé un avertissement en début de scénario et m’avait clairement dit « si tu n’étais pas une femme, je t’aurais censurée » ; il semblait plus ou moins craindre une réaction puritaine dommageable. En somme, je découvrais en bouclage que j’avais un passe-droit en publication pour aborder un thème qui aurait été interdit à un auteur de sexe masculin, peu importe ses efforts pour se documenter ou son tact. Je n’ai pas lu de remarques problématiques sur cet aspect du scénario (elles m’ont peut-être échappée, Internet est vaste).
- J’ai eu à diriger, coordonner et encadrer des scénarios d’autres auteurs dans les gammes des Ombres d’Esteren et Dragons. Il y a eu quelques viols sur Esteren (enfin, là, un seul me revient en mémoire, avec une servante enceinte à cause d’un maitre tyrannique, et maltraitée par l’épouse de ce seigneur), en revanche, le schéma « le seul personnage féminin de l’histoire est la victime » (ou une sorcière vindicative et séductrice perverse) était très loin d’être rare. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de faire des statistiques à l’époque, de sorte que je n’ai que des impressions fondées sur des souvenirs sans doute sélectifs, ce qui n’est pas très satisfaisant pour affirmer des tendances. En revanche, ça laisse la possibilité de faire part d’une impression assez malaisante sur des clichés dont la présence nuit à mon plaisir de jeu (ou de lecture).
Au fait, de quoi on parle au juste ?
Le procès de Mazan est très particulier, avec une absence de souvenirs de la victime, mais des enregistrements vidéos nombreux des faits. Comme il n’est ici pas possible de contester le fait (relation sexuelle sur une personne plongée dans un état comateux), les défendeurs ont massivement invoqué leur absence d’intentionnalité. Le déclic de cet article vient d’un bref passage.
– D’après vous, on peut commettre un viol sans le vouloir ?, a demandé Me Babonneau.
– Oui.
[…] Un viol sans intention de le commettre. La ligne de défense est simple : tous affirment avoir ignoré, avant de mettre les pieds à Mazan (Vaucluse), que Gisèle Pelicot était droguée à son insu.
Je me suis demandée, en lisant les différentes interventions, si ne se dessinait pas en creux la tentation du côté de la défense d’aligner le traitement du viol sur celui du meurtre : coups mortels ayant entrainé la mort sans intention de la donner (homicide involontaire), homicide volontaire, et homicide volontaire avec préméditation.
Après tout ce temps, le souvenir de mes cours de droit pénal est très lointain, et j’ai dû chercher des antisèches en ligne sur la notion d’élément moral. Je vois que ça recouvre la culpabilité (avoir agi) et l’imputabilité : avoir compris et voulu (disposer de son libre arbitre). La fiche rapidement feuilletée me renvoie vers le Code Pénal :
Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.
Il n’y a point de contravention en cas de force majeure.
Et pourquoi tiquer sur l’intentionnalité ?
Là, on dérive sur une autre lecture que j’ai en parallèle (en lisant et annotant à la vitesse d’un escargot asthmatique, mais méticuleux) :
Clotilde Champeyrache, La face cachée de l’économie – Néolibéralisme et criminalités, PUF, 2019.
L’autrice est économiste et spécialisée sur la mafia (et donc plus concrètement sur l’implication du crime organisé dans l’économie légale). Elle est intervenue régulièrement sur France Culture notamment (c’est là que j’avais trouvé sa bibliographie) ; vous pouvez trouver aussi une recension du livre sur Le Monde. L’ouvrage vaut le détour, et il est écrit de manière accessible, en expliquant clairement les notions (tant en économie qu’en droit) qui sont abordées. Si vous ne passez pas votre temps à prendre des notes et des dérivées à partir de celles-ci, la lecture est fluide et rapide.
Parmi les problèmes posés par la criminalité en col blanc figure la grande difficulté de prouver l’intentionnalité de l’acte commis, et ce d’autant plus dans un contexte de dilution de la responsabilité individuelle au sein d’entreprises déviantes (au sens de « par rapport à la légalité »).
Notre système juridique est le résultat de certains principes hérités du christianisme (théologie, droit canon), d’autres du droit romain, d’autres viennent plus directement des Lumières, avec en particulier le célèbre traité de Cesare Beccaria. De manière très schématique, très condensée et très résumée, on peut retenir entre autres choses :
- Il faut avoir l’intention de commettre un crime pour être coupable.
- On ne peut être jugé que du fait de ses propres actes (donc pas parce qu’on appartient à une famille criminelle par exemple).
- On ne peut être jugé que sur la base d’une loi existant avant l’acte commis.
- On est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.
Quand on lit tout ça, cela a l’air juste, logique et équilibré. Cela n’empêche pas des discussions, avec des tentatives d’exploiter les failles. Celles-ci nourriront les situations dramatiques, de manière plus ou moins pittoresques.
🔷 Que faire pour son univers ?
Dans mes souvenirs flous et lointains, je me rappelais avoir lu des articles sur le sujet du droit sur Place to go, People to be. J’ai retrouvé les textes, que vous pouvez consulter :
- La loi et l’ordre (1ère partie) – les sources de la loi – © 1999 Mark J. Young
- La loi et l’ordre (2e partie) – la procédure – © 1999 Mark J. Young
- La Loi et l’ordre dans les mondes imaginaires (3e partie) – Les Forces de l’Ordre – © 2000 Mark J. Young
Ce qui suit est un aperçu de facteurs qui peuvent induire de fortes variations dans vos systèmes juridiques, avec dans certains cas des applications ludiques plus marquées.
Les preuves admises
On peut avoir un système admettant « tout type de preuve » ou listant au contraire les preuves susceptibles d’être utilisées.
- « tout type de preuve » signifie que vous pouvez invoquer des techniques de criminalistiques à bon ou mauvais escient. Il y a ainsi eu des erreurs judiciaires aux États-Unis avec des études de morsure qui n’étaient pas fiables ou pouvaient correspondre à trop de personnes (donc sans garantie que l’accusé est le « mordeur »).
- « tout type de preuve » laisse également la porte ouverte aux ordalies
- La limitation du format des preuves peut être stricte ou large, ou porter sur la manière de collecter un type de preuve en particulier. Ainsi le témoignage d’un esclave sous la Rome Antique a pu n’être accepté que si collecté sous la torture. On peut raisonnablement douter de la fiabilité du procédé.
- Même si « tout type de preuve » est admis, il faut encore que le juge (ou les jurés) puissent la comprendre, ce qui peut nécessiter le passage par l’interprétation d’un expert, qui témoigne.
- D’ailleurs, dans un cadre magique « tout type de preuve » pourrait théoriquement fonctionner avec l’usage d’un sort ou d’une séance médiumnique, mais comment prouver que le vécu issu est bien conforme à ce qui est rapporté en salle d’audience ? Faut-il admettre la magie (comme les indic’) comme déclencheur d’enquête ou aide à sa progression, mais pas comme preuve devant une cour de justice ?
- Le témoignage n’est pas une entité neutre : il y a des contradictions (aveu, rétractation), des circonstances (violences lors de l’interrogatoire ou avant, questions orientées, pressions et intimidation), et des erreurs (reconnaitre quelqu’un qu’on n’a vu qu’une fois brièvement, ce n’est pas facile pour tout le monde).
- Prévoir une infraction, c’est une chose, mais selon la manière dont elle est conçue, il peut être difficile, voire quasi impossible de la prouver. On peut donc avoir des lois censément « justes » (idéales pour un affichage politique) mais qui ne condamneront jamais personnes. Une telle situation ne peut que nourrir un profond sentiment d’injustice.
Juger le fait ou l’intention ?
Si on juge l’intention de tuer, on peut condamner un enfant qui a servi une limonade qu’il croyait empoisonnée. Cela a l’air peu crédible, il y a pourtant des jurisprudences sur des tentatives d’avortement par des moyens impossibles (du temps ou l’avortement était illégal, mais ça n’enlève rien au problème central : juge-t-on une tentative de commission d’un crime par un moyen qui ne permet pas de l’accomplir ?).
Si on juge le fait seul, alors un meurtre est une entité, indépendamment de l’intention associée : accident imprévisible ; accident avec comportement ayant augmenté le risque de sa survenue (consommation d’alcool par exemple) ; coups mortels (bagarre qui tourne mal par exemple) ; meurtre (énervement, coup de feu, vlan) ; assassinat (préparer pendant six mois le crime parfait).
Comme on est en cadre fictionnel et que rien ne nous arrête, on peut panacher :
- Le fait est jugé (on ne tient pas compte de l’intention)
- … mais la défense peut tenter de montrer qu’elle était le jouet de circonstances extérieures (menaces, manipulation, autre) et donc que l’accusé n’était qu’un instrument humain qui n’est pas coupable, ou juste un peu, mais pas beaucoup !
- … mais l’accusation peut tenter de prouver la préméditation.
Dans un tel système, on aurait peut-être un ministère public du « fait », et certains arguments seraient réservés à l’accusation (endossant un rôle un peu dérivé des parties civiles, mais s’en détachant quand même parce qu’il y a investigation).
Magiciens irresponsables
La question de la législation autour de la magie pose des questions. On pourrait théoriquement distinguer un individu qui a accès à une magie innée comme ayant des responsabilités différentes par rapport à un magicien qui étudie volontairement… dans un régime jugeant de l’intention. On pourrait imaginer des stratégies de défense de magicien du genre « non mais je suis ensorceleur et un stimulus m’a fait perdre le contrôle ; je suis une victime aussi« , et l’accusation cherchant à démontrer l’existence d’un livre de sort et d’un cursus en université arcanique.
En revanche, si on juge le fait, qu’un ensorceleur ait déclenché une boule de feu accidentellement aura la même gravité qu’un sort lancé volontairement par un mage de guerre entrainé.
La responsabilité pénale
Ce volet là est le plus facile à placer en cadre fantastique. Selon la notion de responsabilité pénale que vous décidez, le résultat peut être très différent:
- Les personnes de moins de XX ans sont irresponsables. On pourrait aussi imaginer un symétrique avec « les plus de YY ans » dans certains cas de figure. Le seuil a un effet cliquet, et il incite actuellement des gangs suédois à faire appel à des tueurs à gages particulièrement jeunes. Comble du problème : les commanditaires sont à l’étranger et le pays hôte est réticent à l’extradition. Les articles sont assez nombreux sur Courrier international : 30 janvier 2023, 29 septembre 2023, 11 octobre 2023 (accessible non abonnés), et 18 septembre 2024 (quand les tueurs suédois arrivent au Danemark où les gangs locaux semblent dépassés).
- A l’inverse, si on n’a pas de seuil d’irresponsabilité, un enfant de 5 ans peut devenir coupable du meurtre de son cadet de 1 an qui s’est noyé ou autre. De ce que j’ai pu lire, les cas de très jeunes meurtriers (moins de 10 ans) ont lieu dans des familles gravement dysfonctionnelles et posent la question de la limite entre « victime » et « coupable » en plus de celle du discernement.
- Il y a la question aussi des espèces. Des cas de procès d’animaux sont attestés au Moyen-âge, pour punir par exemple des porcs meurtriers. Si dans notre monde, depuis notre époque, cela peut laisser dubitatif, la question est en revanche très différente dans un cadre fantastique, avec des créatures ayant des scores d’Intelligence, de Sagesse et de Charisme équivalents à ceux d’un humain. Si le barbare caricatural (Intelligence 6 ?) est responsable pénalement, pourquoi pas… beaucoup de créatures. Faut-il alors arrêter le dragon noir pour le juger ? Il est assez intelligent pour comprendre le procès !
- Si on considère les limites de l’entendement des enfants, il y a aussi celles des « simples d’esprit » ou des personnes atteintes de démence. Or… la sensibilité, comme l’intelligence ou l’entendement ne sont pas des caractéristiques binaires. Cela signifie qu’il y a régulièrement des cas limites où il est très difficile de déterminer avec assurance ce qui est conforme au droit.
- Et si on reprend le problème des ensorceleurs chaotiques, on pourrait se demander s’il faut leur appliquer une irresponsabilité pénale, et l’étendue de son champ. Si elle est complète, tous leurs actes devraient être assumés par un tuteur (pour les dommages au civil) mais aucun délit pénal ne pourrait leur être imputé. On devine tous les abus possibles !
Juger ou pas ?
Si l’accusé est irresponsable pénalement, le juge-t-on ou pas ?
- Le procès vise-t-il à établir les faits ? Comprendre, une vérité qu’on peut affirmer sans risquer de procès en diffamation. Si c’est le cas, et que la vérité est fermement établie, intangible, on peut avoir des problèmes pour corriger les erreurs judiciaires. Les procédures peuvent être inexistantes ou extrêmement lourdes.
- Le procès vise-t-il uniquement à évaluer la peine d’un accusé responsable pénalement ? Dans ce cas, on peut ne jamais juger des individus. Si en plus, cela se lie à l’établissement de la vérité, alors on peut se retrouver avec des crimes qui n’auront jamais de coupables, avec un grand vide pour les proches de victimes.
Ce n’est pas le seul cas de « jugement ou pas ».
- Il peut aussi y avoir un renoncement de la part du ministère public à aller au procès, parce qu’il estime le dossier insuffisamment solide et qu’il ne veut pas risquer un échec public. Une telle situation risque de nourrir l’incompréhension et un sentiment d’injustice dans la société.
- Des acteurs privés puissants (nobles de la période féodale, et aujourd’hui des multinationales) négocient directement avec les états, à la fois des régimes fiscaux sur mesure, et des arrangements qui évitent de longs procès. Cela peut paraitre « gagnant-gagnant » de la part du politique qui règle le problème plus vite, mais l’impression de l’existence de lois pour les « petits » et d’arrangements possibles pour les « grands » suscite des tensions et une perte de confiance dans les institutions. Ce type de situation est particulièrement adapté dans les univers mettant en avant des « corporations ». Quand bien même elles commettent des actes illégaux et sont prises sur le fait, elles s’en tirent avec une tape sur la main. Dans le cadre d’un jeu moralement plus nuancé, les aventuriers peuvent être en situation d’enquêter et d’avoir à choisir un arrangement immédiat, ou se lancer dans le marais d’une guerre juridique qui pourrait leur coûter très cher personnellement. Dans certains univers, la guerre juridique peut d’ailleurs avoir des extensions plus dangereuses. Et puis, il peut y avoir un intérêt à se faire un allié puissant maintenant pour accomplir autre chose (qu’on espère plus grand et plus beau) demain.
Droit et moral
Certains se plaisent à dire qu’il faut appliquer le droit, pas la morale. Dans les faits, pour garantir un état de droit, c’est certain. Mais le droit n’est pas une entité abstraite : il évolue parce qu’il exprime (avec ses imperfections) un état de ce qui est considéré comme acceptable dans une société.
Lorsque le droit n’est plus en adéquation avec ce que l’on veut pour une société, la politique entre en jeu pour modifier la loi afin qu’elle soit la plus en adéquation possible avec ce projet de société.
Bien sûr, comme tout le monde n’est pas d’accord sur ce que « la société » devrait être, la question même de « qui fait les lois » et « comment » se pose.
- Si la loi est particulièrement difficile à changer, le risque est d’avoir à appliquer des textes d’un autre âge. On peut à ce propos voir les débats juridiques aux États-Unis à donner sur l’application de la Constitution : faut-il l’interpréter en tenant compte de son contexte historique et en chercher l’esprit ? Ou est-il préférable d’être strictement attaché à la lettre, même en utilisant des textes anciens pour juger de situation qui n’existaient pas ? Le même problème se pose dans une société théocratique qui s’appuie sur un texte sacré antique : texte pur, ou prise en compte du contexte pour chercher à rester prioritairement fidèle à l’esprit.
- Si la loi est facile à changer, on peut avoir un phénomène d’instabilité juridique. On ne sait pas ce qui se passera dans un an, et si une activité économique aujourd’hui légale ne le sera plus. On peut aussi avoir un phénomène d’inflation législative : des tas de textes se succèdent, avant même que les précédents aient eu le temps d’être mis en œuvre.
- Si le pouvoir législatif est contrôlé par une partie de la société (historiquement je trouve plus de cas pour des groupes conservateurs), alors on peut voir une tentative de forcer le changement social dans un sens qui ne convient pas à une large portion. Il en résulte une résistance à la loi, et des désobéissances massives. La Prohibition aux États-Unis a été très mal acceptée, et cela a fait le lit de toute la criminalité qui a pu se développer et s’enrichir dans des proportions difficiles à imaginer.
Cet article n’est qu’un survol, et j’espère qu’il permet à ceux qui n’était pas familiers de ces sujets d’entrevoir toutes les bizarreries et les dilemmes qu’on peut envisager pour rendre les sociétés fictionnelles à la fois plus diverses et plus intéressantes. En creux, ces voyages imaginaires aident peut-être aussi à voir notre monde différemment… et nous invitent à nous inspirer de lui pour rendre les contrées fictives plus riches, dans une boucle de rétroaction positives.


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