Le public de ce blog étant essentiellement composé de rôlistes, il connait vraisemblablement le type de publication des « Aventures dont vous êtes le héros » (ADVEH) ou des « Livres dont vous êtes le héros » (LDVEH). Le titre de cet article y fait évidemment référence et attire l’attention sur un type de publication dont j’ai découvert l’existence par hasard, au détour du présentoir des « nouveautés » de la bibliothèque municipale.
Je regarde régulièrement du côté des rayons « jeunesse » (nomenclature de ladite bibliothèque) qui vise le public adolescent, avec essentiellement des littératures de l’imaginaire. Il y a aussi des classiques de fantastique et de science fiction (Liu Cixin, Lovecraft, Stephen King, …) au rayon « science-fiction », et j’ai régulièrement du mal à comprendre pourquoi un livre a atterri dans l’un plutôt que l’autre (ou en « jeunesse » plutôt qu’en « policier » pour la série de Six Versions).
Bref, deux fois à intervalles de quelques mois, pour deux maisons d’éditions différentes, je tombe sur une « ADVEH » à destination d’un public de lectrice. J’étais intriguée, et j’ai découvert en discutant un peu que je n’étais pas la seule à connaitre les « ADVEH » classiques ([épée ou magie] + monstres + trésor), mais pas leur dernière incarnation en date. Je profite de cet article pour que vous en sachiez autant que moi.
Des liens pour en savoir plus :
- Reine de l’Ouest, par H. Lenoir aux éditions Sarbacane, 2024.
- Orgueil et destinée, par Larissa Zageris, Albin Michel, 2018 (traduction).
- La bibliographie de Ian Livingstone sur Babelio (c’est l’auteur de beaucoup des livres que j’ai autrefois lu en bibliothèque municipale, avant de migrer en Normandie)
🔷De quoi parle-t-on ?
La définition d’ADVEH que j’utilise ici est formée sur mon expérience de ces ouvrages et peut donc être incomplète.
- Les ouvrages sont publiés en format « roman » avec peu à pas d’illustrations (je garde de bons souvenirs des visuels pleine page en noir et blanc des publications des années 1980).
- Une introduction précise les règles du jeu.
- Certaines ADVEH sont basées uniquement sur les choix. Le cas échéant, le texte explique en substance « vous lisez le paragraphe 1 et vous lisez ensuite le paragraphe correspondant à votre choix« .
- D’autres incluent des combats et des épreuves physiques (résolues à l’aide de 1d6 à 3d6).
- Il y a parfois des grimoires de sorts à mémoriser par cœur (des combinaisons de trois lettres). En l’espèce je me rappelle qu’il était par exemple proposé de lancer les sorts XXX, YYY, ZZZ et certaines combinaisons n’existaient pas dans le grimoire, donc en les choisissant, ça se passait très mal.
- La fiche d’aventure comprend souvent des objets à acquérir. Certains étaient dotés d’un code « +14 » par exemple, signifiant alors qu’au moment de leur activation il fallait calculer le paragraphe de destination. Ce n’était possible que si on avait noté la valeur de l’objet, et visait à limiter la triche.
- L’aventure tient en 150 à 400 paragraphes numérotés. Le « 400 » était le standard des premiers ouvrages que j’ai consultés.
- Si l’on exclut la mort (fréquente dans certains livres) comme fin possible, les publications « anciennes » n’avaient dans mon souvenir souvent qu’une issue possible. Tout l’enjeu était de trouver comment trouver les objets essentiels (ou les rencontres) et les choix pour y parvenir.
- Le cadre est massivement du médiéval-fantastique (les contre-exemples qui me viennent sont très peu nombreux). Le but de l’aventure est généralement gagner un trésor ou sauver le monde.
🔷 Quelles différences avec les récentes incarnations ?
Les comparaisons que j’effectue ici s’appuient sur un échantillon de deux livres uniquement (lien vers les sites des éditeurs en introduction).
Une apparition isolée au milieu de romans
Je n’ai pas trouvé de catégorie « ADVEH » ou quoi que ce soit de similaire chez les deux éditeurs (Sarbacane et Albin Michel). Il semble que les livres soient donc vendus au milieu des romans. Je suis curieuse d’en savoir plus sur la stratégie de distribution.
Est-ce que miser juste sur la découverte au hasard en librairie fonctionne ? Je m’interroge aussi sur la manière dont le public qui apprécierait ces ouvrages réagit, comment il en cherche d’autres. Du temps de la collection « Défis fantastiques« , il y avait une gamme bien identifiable qu’il était possible de chercher et poursuivre. Du peu que je vois sur la mise en place en bibliothèque et sur les sites des éditeurs, j’ai l’impression qu’on est dans le domaine de l’expérimentation et du hasard. Mais cela m’étonne que des livres marginaux, de niches, arrivent coup sur coup dans la bibliothèque municipale où je les ai découverts sans une phase intermédiaire qui leur donne un certain écho. J’en déduis (sans surprise) que je suis très mal informée sur les étapes visant à faire connaitre les livres d’un large public. Si j’en juge par la revue de presse sur le site de Sarbacane, il y a une phase de travail qui consiste en l’envoi à des chroniqueurs et libraires en espérant une bonne critique et la diffusion de la nouvelle de la sortie considérée.
L’histoire
L’héroïne de l’histoire est une jeune femme, dans les 20-30 ans, bourgeoise mais pauvre et sans famille proche, qui s’ennuie, et rêve d’aventures (à tous les sens du terme). Elle est jolie, intelligente, et féministe (revendications d’émancipation explicites).
L’intrigue est centrée sur un tournant de sa vie qui lui permet d’enfin se libérer de contraintes familiales étouffantes (incluant des tentatives de mariage arrangé). D’un coup tout se débloque, et elle est libre d’aller au loin (ou moins loin, mais libre). Le texte appuie régulièrement sur « ce n’est pas convenable » tout en se réjouissant d’agir ainsi.
Là où les ADVEH que je lisais autrefois enchainaient les combats, les pièges et les mystères magiques, on enchaine ici les expériences érotiques. Il y a bien quelques situations « clichés de films d’aventures ». Ce n’est pas un terme désobligeant : c’est un aspect intentionnel du projet, car l’humour légèrement parodique est central dans les deux livres. L’un est un concentré d’aventures dans le royaume-uni 1815-1820 (essentiellement Angleterre et Écosse) ; l’autre propose la même recette dans les États-Unis des années 1890 avec le thème du western. En revanche, il y a un accent très explicite sur le consentement. Toutes les aventures possibles sont moralement irréprochables de ce point de vue (qu’elles impliquent des brigands ou des loups-garous, c’est secondaire).
Il y a plus de « fins » possibles. De fait, il y en approximativement autant que d’amants possibles. Le schéma est un peu : « voulez-vous XXX avec YYY ? » suivi de « voulez-vous épouser XXX ?« . Il y a donc beaucoup d’issues en forme de mariages (toujours heureux). Quant à l’épanouissement professionnel des héroïnes, il dépend massivement de leur conjoint : devenir infirmière après avoir fréquenté un médecin ; devenir archéologue en vivant avec un archéologue ; devenir châtelaine en épousant le baron… C’est l’aspect qui m’a le plus gênée. Autant je comprends la recherche d’une fin heureuse, autant j’ai quand même l’impression que ces filles naviguent à vue et sans vraiment de boussole propre.
Structure et technique
Venant des ADVEH avec des structures complexes, des choix déterminants cachés et une fin en grand (victoire !), j’étais assez perplexe par moment. Je pense qu’il faut se dire que ce n’est pas exactement la même chose, et l’enjeu est ici léger, visant l’amusement à l’intérieur de chaque micro-histoire cliché.
En revanche, il y a un aspect où je fronce un peu les sourcils : les « tunnels ». C’est à dire concrètement que vous êtes au paragraphe BB, et vous allez à DD, puis à EE. Vous vous baladez dans le livre en feuilletant, mais fondamentalement, vous n’avez fait aucun choix. Autant lire directement un roman dans ce cas. C’est un problème limité à certaines sections, mais je le trouve suffisamment visible pour être gênant. Il y a aussi de très longs paragraphes qui forment des cinématiques, donc des passages passifs avec des choix imposés pour créer des rebondissements. Je n’approuve pas.
Maintenant, si ce sont juste des ouvrages « pionniers », nous aurons peut-être des versions plus abouties dans la construction ludique dans les années à venir ?
Je suis curieuse de savoir dans quelle mesure ce type d’ADVEH rencontre son public, et surtout, si celui-ci prend goût à la notion d’aventure (plutôt au sens de jeu de rôle avec des dés en l’occurrence). Dans quelle mesure des passerelles se construiront-elles entre les pans des cultures de l’imaginaire ?
Je m’interroge aussi sur les jonctions avec la littérature populaire à destination d’un public féminin, qu’on voit en masse sur une plateforme comme Wattpad. Ma plus grande surprise était du côté des catégories proposées sur la page d’accueil : « Loup-garou », « Vampire » et « Spirituel » (il y en a d’autres, mais elles m’ont moins étonnée). Il y a quelques années, j’entendais parler de « bitlit » (pour un aperçu sur Babelio) avec beaucoup d’héroïnes de type « chasseuse de monstres » (et amantes desdits monstres en option), mais cette ancienne catégorie rassemblait les loups-garous et les vampires. Ils se sont donc désormais autonomisés. Quant à la catégorie « Spirituel », ce sont des fictions incluant une dominante religieuse, avec par exemple des histoires d’amour moralement irréprochables à l’intérieur du référentiel choisi.
Ah ! J’ai réussi à trouver un « final » plus construit caché au milieu de Reine de l’Ouest : la possibilité de devenir une cheffe d’organisation criminelle (qui est censée garder les mains propres… oui, bien sûr…). Comme c’est l’issue qui demande le plus de stratégie (par rapport au reste), et qu’elle est vraiment développée, je tends à la considérer comme la plus mise en valeur. Alors à quoi ressemble la vie idéale d’une femme émancipée ?… Eh bien à la biographie d’Eufemia Spinelli : vie sexuelle riche, beaucoup d’argent, du pouvoir et de l’influence, des proches loyaux et fidèles. J’aime bien Eufemia, mais je ne me vois pas la prendre comme modèle dans la vie. Il y a quand même beaucoup d’aspects sombres associés à son règne et de manière générale à la notion même de crime organisé.
Vous pourrez faire la rencontre d’Eufemia dans la « Toile de la malédiction »
In-Existence
In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.



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