La perspective du mulot (et de Vanik)

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Lorsque j’ai commencé ce site et blog, j’avais commencé une ébauche d’article à propos de Vanik Memini. Je travaillais sur le « JOUR 6 », et je n’avais pas encore entamé la restructuration d’In-Existence.

Ce personnage présente plusieurs intérêts à mon sens. En premier lieu, sa création est presque un accident, et de ce point de vue, il s’avère représentatif d’une manière d’écrire. Ensuite, c’est un individu vulnérable, souvent terrifié, au point qu’une primo-relectrice plaisantait en disant « mais il pleure tout le temps ! ». Sur le coup, c’était un peu amusant, quoique exagéré et dur pour le pauvre Vanik, et puis j’ai réfléchi. Le déclic d’écriture de cet article vient de là.

En rédigeant, je me suis rendue compte que la « perspective du mulot » (que j’associe à Vanik) a fait dériver ma réflexion sur la question du sens donné au courage, apparemment plutôt antinomique avec la peur motivant la fuite, et de là avec les degrés de peur à considérer.

L’article a trainé longtemps dans les brouillons, avec des développements sur la fuite, le courage, la représentation du personnage… Finalement il illustre les dérives de la réflexion, laquelle au terme de ce texte est loin d’être achevée !

Pour en savoir plus

📖Journal d’écriture

Je suis toujours sur cette phase intermédiaire de préparation et d’avancées.

  • Relectures et reprises de l’arc principal (A) pour le JOUR 5, avec réflexion sur l’ajout de chapitre et de développements autour de Beric qui me cause un peu de soucis.
  • Le JOUR 4 est en bonne voie de complétion dans l’ouvrage (C) qui rassemble pour le moment Jul, les journalistes, mais aussi d’autres intervenants relativement éloignés, qui ignorent ce qui se passe, mais ne se tournent pas les pouces pour autant. J’ai l’impression que cet ensemble (C) représente le monde « normal », ceux qui ne sont pas dans les coulisses de l’action principale, mais qui n’en sont pas moins susceptibles de causer des bouleversements par leurs initiatives inattendues.
  • Le travail de fond sur le (C) m’oblige aussi à clarifier des questions qui étaient en suspens et qui sont appelées à devenir importantes. C’est donc assurément une bonne chose.
  • En théorie, une fois que j’aurais réussi à finir le JOUR 5 en (A) et en (C), je serai tranquille pour avancer un moment sans trop de prise de tête. C’est délicat à affirmer, car plus l’intrigue avance, et plus je suis aux prises avec un système chaotique, tant il y a de facteurs à considérer. Je ne suis qu’à une petite échelle, et je songe régulièrement à G.R.R. Martin écrit à l’échelle de deux continents ! Avec ma chronologie resserrée, j’ai d’autres difficultés, mais ça me semble moins démesuré et plus gérable.

Je serai très heureuse de passer le cap de la mise en place du début de l’arc (C) !

🔷L’origine accidentelle de Vanik

Vanik est apparu en début 2023, lors du premier grand chantier de reprise générale des textes d’In-Existence. Il était devenu central lors du travail sur l’arc (B) dont le premier volume autonome est désormais complet.

Pour télécharger les volumes à jour

In-Existence

In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.

■Une conséquence de la reprise de 2023

Des événements étaient en cours et des antagonistes en action, mais la Voyageuse par exemple n’avait aucun moyen de savoir ce qui se passait – et le lecteur non plus. Le risque était donc d’avoir l’apparition tardive de personnages ayant des actions décisives, et perturber la lecture avec des flash-back compliqués ou des explications laborieuses. Le plus efficace me semblait être de donner des chapitres à ces protagonistes pour qu’ils ne surgissent pas de nulle part et qu’on comprenne ce qui se passe. Le travail de Leslie Yvard, aux marges de l’univers de Maxim Arakel Lastôr était un des domaines qui me paraissait nécessiter plus de précisions.

■Faire parler Leslie Yvard

C’est ainsi que les perturbations causées par l’arrivée de la Voyageuse ont donné lieu à des réactions. Même à ce moment-là, Vanik n’était pas encore « prévu ». Il est apparu allongé dans le canapé du Bureau de la Société pour la Recherche Holistique. J’avais besoin de quelqu’un pour donner une raison à Leslie Yvard d’expliquer des notions dont le lecteur aurait sûrement besoin. Un nouveau-venu dans le monde de l’occultisme était donc bien pratique.

■Mais pourquoi est-il là et qui est-il ?

Il n’y avait aucune raison pour que Leslie Yvard s’amuse à engager le tout-venant. Elle a vraiment autre chose à faire de sa vie que s’embêter à former un débutant. Alors pourquoi était-il là ? Qu’est-ce qui pouvait lui donner envie de faire ces efforts ? Il fallait manifestement que ce jeune homme ait une qualité qui le distinguerait. Il pouvait être membre un parent, mais après quelques réflexions et tirages aux dés, j’ai opté pour un vesmere – donc le membre d’une minorité à laquelle la rumeur prête des dons en matière d’occultisme.

Les « Memini » existaient déjà dans le cadre de jeu de rôle « Artland », en tant que lignée vesmere spécialisée dans la connaissance des voyages surnaturels. Avec l’importance de la Colline Creuse à l’arrière-plan des intrigues, cette origine me semblait la plus intéressante pour un personnage – même s’il n’était pas du tout voué à avoir un rôle central.

Un mulot sylvestre
Un mulot sylvestre – l’animal que j’estime être le totem de Vanik Memini (Source : Wikimedia Commons – Attribution: A wood mouse negotiating a step by Walter Baxter – Licence : mention de paternité et partage à l’identique (CC-By-SA) en version 2.0 )

🔷 La stratégie du mulot

Nous avons un peu débriefé avec Moïra sur L’emprise de l’ogre. Ce volume autonome de l’ensemble In-Existence voit l’action de Vanik, devenu l’un des personnages principaux. De simple figurant à protagoniste de premier plan, il a déjà bien progressé ! Voici quelques commentaires en vrac :

Mais il fait que pleurer !

Il est trop fort sans s’en rendre compte ! Il lâche des pépites alors que dans sa tête il est en mode panique!

C’est un héros qui s’ignore. Un peu ridicule, mais héroïque quand même.

■ Le point de vue du mulot

Quand j’écris les (més)aventures de Vanik, j’ai tendance à m’imaginer un mulot sylvestre. Cette petite bête mignonne (un peu envahissante par moment) est du genre à filer rapidement se cacher. Sa peur est pleinement justifiée : il est petit, sans défense (venin, piquant, carapace, etc.) et le monde est rempli de prédateurs qui le trouvent appétissants. Réagir vite et se cacher sont des comportements indispensables. Bien sûr, de l’extérieur (point de vue humain), il a l’air trouillard, mais c’est une peur rationnelle, utilisée à bon escient pour sa survie. D’ailleurs, quand un mulot est dans une situation critique (par exemple, qu’un monstre humain gigantesque essaie de le capturer…), il est prêt à charger et accomplir des sauts prodigieux (au regard de sa taille). Les animaux sauvages « petits et mignons » (mulots, mésanges…) ont la même volonté de vivre que les plus massifs et intimidants, mais les rapports de force étant ce qu’ils sont, ils misent d’abord sur l’éloignement du danger.

Dans l’imagerie dramatique, on distingue volontiers « fuite et combat » en valorisant plutôt la créature qui opte pour l’affrontement. En pensant « mulot » (ou mésange, ça marche aussi), la perspective change.

  • Fuir est raisonnable et permet de poursuivre son existence dans de bonnes conditions. La vigilance est constante, la discrétion est une vertu. La curiosité n’en est pas moins indispensable pour trouver des ressources et des abris. Il faut explorer prudemment, avec toujours des solutions de replis.
  • On ne se laisse pas prendre (manger) sans combattre, même si la situation est désespérée. Quand on est acculé, on charge, et on tente de forcer une sortie. Le but de l’assaut n’est pas de vaincre l’ennemi (le prédateur), mais d’être libre.

Pour moi, le principal changement en adoptant la perspective « mulot » réside dans le sens donné à la peur et au courage. Les définitions sont un peu retouchées, et elles interrogent de proche en proche les concepts voisins.

  • La peur n’est pas un antonyme du courage.
  • La peur est la conscience de l’existence d’un danger.
  • Le danger est l’ensemble des limites que la réalité met autour de nous.
  • La vigilance est la prise en compte de tout ce qui peut mal tourner.
  • L’anxiété consiste à voir plus de limites (et donc de danger) que ce qu’il y a vraiment.
  • Le courage est la capacité à agir (et donc à vivre) avec énergie et détermination, en affrontant les obstacles de la manière la plus rationnelle possible. Il est un élan vital adapté à la pression de l’environnement, et il cherche les issues à un problème en fonction des moyens disponibles.
  • La terreur est obnubilée par un danger au point de perdre sa capacité à agir de manière adaptée au problème.
  • La témérité est un excès d’action ou d’agressivité, au mépris du réel. Elle refuse les limites ou ne les voit pas comme telles.
  • Un animal en situation d’impuissance (enfermé, électrocuté à répétition sans cause évidente, etc.) sombre dans un état qui ressemble à une dépression, une résignation lasse et désespérée, attentiste.

En substance, la fuite peut être courageuse. On parlera plus élégamment de « repli » pour signifier que c’est une tactique. Mais en fait… le mulot n’a pas exactement de plan pour « attaquer » ensuite. Il reviendra explorer quand la voie sera libre et cherchera de nouveau à manger.

Dans l’imagerie qui vient le plus aisément à l’esprit, la « fuite » est en fait une « fuite de terreur », avec une perte complète de ses moyens. Cette attitude là est mauvaise pour la survie. En revanche, la « fuite de peur » normale ne mérite pas de stigmate, car elle est bonne pour la survie.

■ Faut-il distinguer la peur de la terreur en jeu de rôle ?

Le jeu de rôle intègre des émotions, et certains sorts infligent des peurs violentes qui poussent à fuir. Il serait peut-être intéressant de réfléchir à distinguer les degrés :

  • terreur / fuite éperdue > peur / fuite > vigilance [préparé à la fuite] >
  • < ??? [préparé au combat] < ??? [combat] < témérité

Et le « courage » sort de l’équation, car il existe dans les deux dimensions dans les zones « adaptées à la réalité« . J’ai d’ailleurs un peu de mal à remplir mon échelle de manière satisfaisante pour distinguer l’état de préparation au combat, l’attaque et l’excès d’agressivité. Ce dernier peut être rapproché de la « rage du barbare » dans les différentes éditions de Donjons & Dragons.

Je ne sais pas ce que je peux faire de cette réflexion, partie de la question de la « perspective du mulot », mais ça me parait intéressant à garder dans un coin de tête et à creuser pour… réhabiliter la fuite !

La peur extrême, un détour

Cet article ayant trainé, j’ai eu le temps de lire en cours de route, et de croiser un article évoquant la question de la peur extrême: « Syndrome de Stockholm. Peut-on vraiment s’attacher à son bourreau ? » in Cerveau & Psycho n°168, septembre 2024, p. 56-63.

Résumé de ce que j’ai retenu de l’article susceptible de s’appliquer à la question de notre « mulot » (au sens de créature qui cherche à survivre malgré un rapport de force démesuré).

Quand j’y réfléchis, ça me donne envie d’avoir autant d’options de « discrétion » et « fuite » que de combat ! Il me semble que ça permettrait aussi d’aborder des jeux de type « Donjons & Dragons » différemment. Si on conçoit la fuite (au sens large) comme une option d’une égale dignité au combat, alors on peut utiliser l’intégralité du bestiaire dès les faibles niveaux : aux aventuriers de s’adapter avec des tactiques de contournement, d’évitement… Mais une telle réflexion amène aussi à penser le développement des personnages autrement : tout le monde serait en quelque sorte « partiellement roublard », parce que c’est vital pour vivre dans un univers où des vampires et des dragons adultes se promènent normalement.

🔷 Vanik, un personnage husser?

En réfléchissant sur les caractéristiques du personnage, je me suis posé d’autres questions : sur sa construction, les raisons qui m’amenaient à m’interroger sur lui, les contraintes dramatiques de son parcours…

■ Waffer et husser : précisions

Pour le Regenland, j’ai dissocié les termes associés à la biologie et aux représentations sociales pour mener l’expérience d’une société qui a d’autres codes.

  • Masculin / féminin : désigne le sexe biologique (XY ou XX chez les humains), les phénotypes associés, et les parures mettant en avant les caractères sexuels considérés. On dira ainsi de Mel Malchaï qu’elle est féminine parce qu’elle porte des vêtements mettant en avant son corps dans ses caractères féminins.
  • Waffer / husser : le « waffer » est guerrier, dominant, conquérant, etc. ; le husser se consacre au soin, il est protégé, au foyer, doux, etc.

Vanik est un personnage de sexe masculin, avec une orientation husser : il est vulnérable, apeuré, inquiet, manipulé, balloté par les événements, et il s’effondre parfois en larmes.

■ Les choix de construction de personnage

Cette husserité de Vanik n’était pas une intention. Je ne me suis pas dit « oh tiens, je vais subvertir les genres…« . Non, comme pour tout le reste, c’est accidentel. J’ai posé les lignes essentiellement de l’architecture du personnage et tout a découlé de là :

  • Membre de rang inférieur de la Société pour la Recherche Holistique. C’était nécessaire pour qu’il ne prenne (initialement) pas trop de lumière et qu’il puisse poser des questions naïves (pour l’univers) mais terre à terre (pour le lecteur).
  • Vesmere avec un potentiel don. Leslie Yvard n’aurait jamais embauché un quidam sans compétence s’il n’avait pas un potentiel intéressant. J’ai donc mis à profit les légendes sur les Vesmeres en voyant que l’un des clans était réputé avoir une sensibilité innée pour les voyages à composante surnaturelle, donc ici ce qui relève de la Colline Creuse.
  • Un Vesmere ignorant. Avoir un don, c’est bien, mais le personnage devait rester mal formé, donc avoir été vraiment coupé de sa culture. Pour cela j’ai opté pour le passage en famille d’accueil dès son enfance.
  • La famille biologique de Vanik. De là, j’avais deux solutions. (A) La famille de Vanik était vulnérable et victime d’un état criminel, avec pour inspiration transparente la manière dont les enfants d’amérindiens canadiens ont été arrachés jusqu’à récemment à leurs familles ; ou le cas similaire des enfants aborigènes en Australie. Cela aurait impliqué de mettre en place une politique largement discriminatoire à l’échelle du pays, de la justifier culturellement, etc. Bref, c’était très lourd comme implication sur l’univers. (B) Le placement était justifié par des conditions sociales plus neutres que sont la violence intrafamiliale. Elle peut être aggravée par une discrimination sourde, mais la pression sur l’écriture de l’univers était bien moins lourde. J’ai donc opté pour cela.
  • Justifier une coupure forte. Si on admet que les services de l’enfance s’étant occupé de Vanik ne sont pas totalement dysfonctionnels, alors sa perte de contact avec sa famille biologique doit découler de graves problèmes sociaux. J’avais lu (ça date, c’est flou dans ma mémoire) des études en sociologie réalisées aux États-Unis et portant sur la transmission de la misère et de la violence sur plusieurs générations. En dressant les arbres généalogiques de certaines familles, associées à la liste des problèmes (infractions, alcoolisme, etc.) des individus, on aboutissait à un tableau effrayant évoquant presque une malédiction tant la fatalité semblait s’abattre.
  • Une malédiction ? Or voilà que je retrouve un thème qui est exploré ailleurs dans In-Existence. J’avais une bonne accroche pour relier le personnage de Vanik à certains des grands thèmes. J’ai donc opté pour cette piste qui était pratique à plusieurs titres.
  • Le vécu du personnage. Munie de cette structure, j’ai développé Vanik, en cherchant à limiter au maximum le misérabilisme. La minorité ethnique, le placement, la supposée malédiction familiale… c’était déjà bien lourd, pas besoin d’en rajouter ! Vanik devait rester capable d’agir efficacement, sans quoi je ne pouvais pas sérieusement mettre en scène ce personnage. Pour cette raison, la famille d’accueil devait être correcte et support de résilience.

■ Fragilité et vulnérabilité dans l’histoire

Vanik a tout pour être en situation de vulnérabilité.

  • Maltraitance avant ses sept ans, famille gravement dysfonctionnelle, violente, délinquante avec de l’alcoolisme, etc.
  • Famille d’accueil (aimante)
  • Cherche à découvrir ses origines et tombe sur une succession délirante de violence et de folie
  • Une présumée malédiction familiale
  • La peur d’être fou lui aussi (et avec son grand-père bien timbré interné, il y a matière à s’inquiéter)
  • Membre d’une minorité ethnique
  • … mais ne connait ni la culture, ni la langue, ni les traditions
  • Habitant un quartier discriminé (on dit que les gens y sont des criminels nés, « classes laborieuses, classes dangereuses » etc.)
  • Il a un stigmate visible (des yeux améthyste) associé à des légendes évoquant la capacité à voir des choses.
  • Les gens qui y croient considèrent Vanik comme un outil pour manipuler les puissances occultes.
  • De fait, il voit effectivement des spectres et des trucs effrayants, et n’a personne à qui en parler
  • Il n’a aucun appui, pas de réseau.
  • Il ne sait pas se battre, cogner, impressionner.
  • Il a déjà été repéré par un cadre de pègre spécialisé dans les malédictions et les assassinats qui veut le recruter pour son don.
  • … et par une occultiste, un peu moins douteuse, mais pas nette non plus, et pour la même raison.

■ Vérifier les autres vies possibles

Avec un tel bagage, la stratégie du mulot me parait cohérente et adaptée. On pourrait néanmoins remarquer qu’avec la même base (famille, placement, etc.), d’autres évolutions auraient été possibles, avec deux grandes lignes :

  • Une personnalité borderline, avec délinquance, errance, etc.
  • Une personnalité plus sûre d’elle, qui continue de s’intégrer dans la société à l’âge adulte, avec des études et un travail plus convenable que « employé de base chez des occultistes ».

Dans les deux cas, il n’aurait pas pu être qualifié de « husser » ou de « vulnérable », mais… je ne vois pas comment cette évolution aurait pu aboutir à sa fonction visée initialement : un membre de rang inférieur de la Société pour la Recherche Holistique là pour poser des questions !

En somme, la fragilité faisait partie du contrat de base pour remplir la fonction visée pour ce personnage.

■ Tenter d’esquiver les stéréotypes gratuits

C’est important pour moi de vérifier ce genre de choses, pour savoir si je n’ai pas abusé de stéréotypes par facilité. Même quand on essaie de les éviter, ils ont tendance à revenir, l’air de rien, comme des évidences.

Un des moyens de vérifier si on se fait pas avoir (par soi-même !) consiste à faire quelques tests :

  • Est-ce que mon attitude envers le personnage change si je l’imagine en femme (ou en homme) ? On peut étendre le test à tout autre changement.
  • Est-ce qu’il serait différent avec telle ou telle variation dans son historique ?
  • De quoi ai-je besoin (cahier des charges) pour que mon histoire fonctionne ?

🔷 Attendus et genres

En pensant à Vanik, je me suis aperçu avec perplexité qu’il me faisait penser à une héroïne de roman ayant une saveur XIXe siècle. Je lui trouvais presque plus de « courage » en l’imaginant en « femme husser » avec rigoureusement le même parcours.

■ Détour par les représentations en littérature

Cette réflexion me vient en lointain écho d’une lecture que j’avais faite autrefois, et dont je pense avoir retrouvé les racines dans de vieilles prises de notes. Elles ne distinguent malheureusement pas très précisément ce qui vient de mes questionnements et ce qui provient de l’ouvrage.

En substance, le livre est centré sur la représentation des hommes dans les romans d’autrices de la fin du XIXe siècle. Cependant mes notes sont orientées sur les schémas narratifs et les évolutions des personnages féminins. Il semble que j’ai manqué le but de l’ouvrage !

Mais il m’a beaucoup fait réfléchir sur les constructions dramatiques, les parcours attendus des personnages, et aussi sur le sens qu’on donne à la fin. Pour exemple : toutes les femmes « pécheresses » du XIXe siècle périssent tragiquement. Elles sont assassinées, suicidées, noyées, tuberculeuses ou que sais-je encore. Pour vivre vieille dans un roman (ou pièce de théâtre ou …) de l’époque, il faut être religieuse ou épouse fidèle (et mariée tôt, en ayant eu qu’un homme dans sa vie). Tout autre cheminement est sanctionné par une mort dramatique.

C’est d’ailleurs intéressant si on considère plus largement qui vit et qui meurt dans une histoire. J’ai l’impression que ce n’est pas un hasard, et qu’on a des tendances très fortes, associées aux genres et aux époques. Dans un autre article, j’évoquais d’ailleurs le taux de mortalité des personnages autour de certains héros (tenez-vous en éloignés !)

Ne soyez ni le mentor, ni la fiancée de ce personnage, et encore moins son meilleur ami !

Avec ou sans carac’ mentales ?

Comment montrer et faire sentir l’intelligence ou le charisme ? Cette question amène à se questionner sur le sens et la place des caractéristiques mentales et sociales en JdR.

Si vous souhaitez en savoir plus sur cette étude de romans du XIXe siècles, j’ai retrouvé deux recensions :

  • Recension sur la revue « Genre et histoire » (revue de l’association Mnémosyne) en automne 2015. Pour les curieux, il s’agit d’une revue universitaire historique s’intéressant aux questions sociales (comme le suggère son intitulé). La liste des thèmes de publications précédentes est dans la marge de gauche. Ce type de publication présente souvent des analyses sur points précis (tirés d’archives ou d’analyses d’ouvrages), ce qui présente l’intérêt de présenter du matériau (anecdotes, situations inattendues) pour animer le quotidien dans les cadres fictionnels. Si vous explorez les marges hautes de la page (« Open Edition Journals » et le catalogue des revues), vous entrez dans un dédale de ressources presque toutes ouvertes, sur des sujets d’une très grande variété. Prévoyez quelques (à plusieurs) heures avant d’identifier les documents qui vous intéresseront, et au moins autant pour les dépouiller !
  • Recension sur Clio en début 2013. Cette revue spécialisée a pour sous-titre « Femme, genre, histoire ». Le portail ici utilisé est le « CAIRN » qui est très bien aussi, mais dont beaucoup plus de ressources ne sont en accès complet que pour les universitaires (étudiants inclus, grâce à l’abonnement de la bibliothèque de leur établissement d’affiliation). Je viens de vérifier, la revue Clio est également disponible dans le catalogue d’Open Edition. En revanche, si vous voulez accéder au numéro le plus récent (2024 en l’espèce), il faut passer par l’accès payant sur le CAIRN.

■ L’histoire romanesque de Vanika

En m’inspirant des schémas types qui trainent par sédimentation dans des coins de mon esprit, je trouve « facile » de concevoir l’histoire de Vanika. Ce faisant, j’ai l’impression confuse de mélanger des références littéraires du XIXe siècle (romans feuilleton notamment) et des romans actuels à destination de lectrices de fantasy de 15-25 ans.

L’histoire se déroule dans un cadre médiéval-fantastique ou soft steampunk. Vanika n’est qu’une pauvre petite fille, arrachée à sa famille dans laquelle elle n’était au mieux qu’une Cosette. L’histoire s’attarde bien sûr sur ses souffrances, avec un ton mélodramatique. Elle grandit auprès d’une tutrice aimante qui devient sa mère d’adoption. Mais au lieu de suivre le droit chemin tracé d’une vie heureuse au village (et peut-être un gentil prétendant bien sous tous rapports), elle retourne dans la grande ville se confronter à son passé. Pauvre, mais digne, vertueuse et honnête, elle s’installe dans un petit logis d’un quartier dangereux. L’histoire s’attarde bien sûr sur la peur, la vulnérabilité, les rats, l’humidité… Là, elle est repérée par un terrifiant criminel qui a des vues sur son don latent. Il complimente également ses beaux yeux mauves, et cette beauté dont elle n’a évidemment pas conscience (au contraire de tous les personnages qui la croisent). Elle s’esquive, parvient à trouver refuge auprès d’un autre mentor, guère moins inquiétant. Toujours dans un rang subalterne, à peine considérée pour elle-même, elle n’en fait pas moins l’objet d’attentions malsaines à cause de son don (au XIXe siècle, ça aurait sûrement été sa beauté seule, mais avec la fantasy du XXe-XXIe on peut avoir la beauté et le don magique précieux rare). Embarquée dans des voyages dangereux, elle échappe de peu à la mort, et s’engage à lutter courageusement, malgré ses faibles moyens (et son manque de confiance en elle) contre des puissants corrompus qui manient de sombres pouvoirs. Bien sûr, elle est fascinée par le charisme de ce ténébreux personnage chez qui elle se réfugie et qu’elle doit espionner. Elle le craint, et frémit tout à la fois de désir (la dark romance n’est pas loin). Elle seule pourra abattre l’un de ces monstres, une créature sanguinaire et terrifiante. L’avenir de la ville, et du monde (oui, la surenchère est classique de nos jours) reposent sur ses frêles épaules.

■ Et pour en revenir à Vanik…

Dans le cas de Vanik, il n’y a pas de misérabilisme ni de romance. J’ai ajoutés ces facteurs dans la variante « Vanika » pour mettre plus en évidence ce schéma plus familier d’aventures mettant en scène une noble héroïne, partie de tout en bas, et qui progressivement se révèle à elle et s’émancipe.

Encore une fois, ce n’était pas prévu en créant Vanik. Rien n’était prévu. J’avais besoin d’un interlocuteur qui pose des questions naïves pour aider le lecteur à comprendre. C’est en m’interrogeant sur des détails de réactions sur le personnage que j’ai commencé à creuser et m’interroger.

Cet article aura donné un aperçu du foisonnement des questionnements et de la manière dont les lectures anciennes ou récentes se répercutent, amènent des hésitations ou de nouvelles approches.

J’en retiens pour ma part que j’ai envie de creuser sur le volet de la « fuite » et des manières d’aborder l’entièreté des bestiaires. J’ai l’impression, sans cela, que la moitié de ces ouvrages est décorative. Mais aller dans cette direction implique aussi de faire attention aux aptitudes permettant de tuer d’un claquement de doigts les aventuriers de faible niveau tombés sur un démon FP14 ou plus. Il faut que la fuite soit possible.

A suivre !

Pour en savoir plus sur les sujets évoqués dans cet article…

In-Existence

In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.

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