Temps de travail en écriture de jeu de rôle

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Des échanges en coulisse à propos du rythme d’écriture et de la rémunération m’ont amenée à me rendre compte que la réalité du travail d’écriture en jeu de rôle est mal connue. Seul la cadence de rédaction de « V1 complètes » est réellement appréhendée (quand elle l’est). J’ai pensé que quelques précisions pouvaient être utiles.

Si vous souhaitez vivre du jeu de rôle, ou en faire une activité complémentaire sérieuse, c’est peut-être intéressant de vérifier ce que chaque poste de travail représente pour vous en temps, et en investissement. Cela peut aider à moins déconsidérer la valeur de l’écrit.

Hormis les citations et les images.

🔷En quoi consiste le travail ?

Ci-après je présente les différents types d’activités nécessaires au travail « auteur de jeu de rôle professionnel », avec un aperçu des budgets et du temps. Si on examine les fourchettes de temps, on arrive à des semaines blindées. De fait, elles le sont. Le soir me sert pour écrire en « perso » (une part de l’entrainement donc), et le week-end est souvent consacré pour partie à la documentation et à la recherche.

■Se former et entretenir ses compétences

Documentation et analyse

Pour écrire, il faut des ressources, et donc concrètement il est souhaitable d’étudier les sujets qui pourront servir.

Le jeu de rôle n’étant pas juste une description d’univers, il est plus que souhaitable de consacrer du temps à l’analyse des systèmes et aux des débats techniques.

  • Budget : abonnements à des revues ; abonnement en bibliothèque ; achat de livres
  • Temps : 5h à 15h par semaine

Entrainements à l’écriture

Un sportif ne court pas que lors des compétitions, et c’est la même chose pour le travail d’écriture.

  • Budget : carnets, crayons, ordinateur, logiciels de traitement de texte ou de prise de notes
  • Temps : 10h à 30h par semaine

Formation administrative et juridique et informatique

Il est vital de connaitre ses outils et les règles qui s’applique à son activité. Il faut consacrer un temps à être à jour des cotisations des auteurs et suivre les nouveautés éventuelles (et les comprendre).

Le droit de la propriété intellectuelle ne parait pas très glamour, mais c’est extrêmement imprudent de faire l’économie de la compréhension des notions de base. Si vous souhaitez vous équipez, voici un aperçu de ce que propose le catalogue de la LGDJ, spécialisée en droit, dans le domaine considéré. J’ai consulté celui-ci qui me parait accessible et clair pour débuter.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la maitrise des outils informatiques. « Feuille de style personnalisée », « renvoi », « création de style », « volet de navigation », « mode plan », « mode révision » sont des exemples d’aspects essentiels en traitement de texte. Peu importe que vous soyez sur Word ou Open Office : ça existe partout, parce que c’est nécessaire dès qu’on travaille sur des documents volumineux.

  • Budget : 45 euros le livre de droit
  • Temps : des sessions de configuration d’outils, de mise à jour et d’optimisation des feuilles de style et d’étude ; compter 1 jour par mois en moyenne, mais ça peut être plutôt une semaine par semestre, et parfois c’est assez diffus (suites de petits réglages cumulés)

■Réseaux et contacts

Prendre le temps de discuter

On ne s’informe pas que sur des sites, mais aussi par l’intermédiaire de contacts, rencontrés en ligne ou dans des conventions. Qu’il s’agisse de débutants ou de vétérans du milieu, tous peuvent apporter des enseignements précieux, attirer l’attention sur un site, une chaine YouTube ou une autre ressource appréciable. Et puis, tout travail est quand même bien plus agréable avec un côté humain, la découverte de nouvelles personnes, des échanges d’anecdotes, etc.

  • Budget : déplacement et logement pour se rendre en convention
  • Temps : convention +2 jours avant et après ; 5h à 10h par semaine selon l’actualité

Visibilité et accessibilité

Les illustrateurs ont des « books » pour présenter leurs compétences au travers d’illustrations réalisées par leurs soins. Dans le cas de l’écriture, c’est un peu plus délicat, mais l’utilité de faire connaitre son activité existe tout autant. Le présent site est ma réponse à cette problématique, mais elle n’est pas la seule manière de s’y prendre. Dans tous les cas, si on veut être contacté, il faut être joignable facilement !

  • Budget : variable selon la plateforme choisie pour montrer votre travail
  • Temps : 2h à 6h par semaine

■La mission

Je prends le parti ici de m’étendre sur le cas d’un travail de commande. Les cas où l’on fait éditer un projet personnel sont plus rares. Je supposerai que vous avez établi un premier contact positif avec un éditeur, qu’il apprécie votre travail et qu’il a une mission à vous proposer.

Comprendre le besoin

La première étape du projet consiste à avoir une idée claire de la mission, des attendus éditoriaux, de la saveur visée, du type d’expérience ludique prévu. L’éditeur a des besoins :

  • cohérence avec la gamme déjà existante, et enrichissement de celle-ci (continuation de l’ambiance, mais renouvellement)
  • ton, niveau de langage, lexique technique (pour tenir compte du public visé et du système de jeu)
  • taille du texte, structure interne et plan type

Il y a toujours une part de « soi » dans le projet et la création. Pour vérifier l’importance de l’individu dans l’œuvre, il suffit de donner la même commande à des personnes différentes. Plus le signage (taille du texte) est important, et plus l’empreinte individuelle sera évidente. De fait, c’est un des éléments qui caractérise le domaine du droit d’auteur.

Le travail d’écriture vise à apporter une réponse inspirante aux contraintes propres à un projet. Fondamentalement, ce n’est pas très différent d’une démarche d’architecte, ou de réalisateur de film ou de compositeur de musique de film.

  • Budget : a priori anecdotique
  • Temps : 10h au plus court sur un gros projet

Discuter et lire le contrat

L’écriture est une prise de risque et une activité structurellement précaire. Votre éditeur a également une prise de risque, en investissant dans un projet (fabrication, promotion, distribution, gestion des stocks…). Chacun s’investit dans le projet et a intérêt à ce qu’il dégage des revenus.

En tant qu’auteur, votre besoin immédiat est basique : vous devez survivre jusqu’à la fin du projet et à votre prochain paiement, potentiellement sur un autre projet. Cela signifie que votre rémunération en avance sur droit doit être suffisante pour « tenir » sur cette période.

Votre paiement en droit d’auteur derrière n’est pas du bonus, mais la récompense de votre prise de risque continuelle : vous vous formez, vous achetez et entretenez vos outils, vous avez un agenda biscornu et pas de garantie de pouvoir vous payer des vacances, ni une assurance maladie, etc. Chaque collaboration est un pari sur l’avenir, et il est à espérer que plusieurs seront suffisamment fructueuses pour être satisfait de vos choix.

Parmi les questions auxquels être attentifs dans la discussion du projet :

  • Est-ce que le temps d’apprentissage du système est tel que la rémunération globale est trop faible ?
  • Même question pour l’univers.
  • Est-ce que la collaboration ouvre de manière raisonnablement fiable vers d’autres missions qui permettent de « rentabiliser » le temps d’apprentissage ?
  • Est-ce que le contrat prévoit une avance sur droit en plus des droits au pourcentage des ventes ?
  • Quand et à quelles conditions est versée l’avance sur droit ?
  • A partir de quel moment les droits d’auteurs sont-ils versés ? (l’avance sur droit est-elle récupérable par l’éditeur, si oui, dans quelles modalités ?)
  • Est-ce qu’une traduction est envisagée ? Si oui, quels sont les droits prévus ?
  • Quand ont lieu les redditions de compte ?
  • Quelle est la durée du contrat ? Quelles sont les clauses prévues qui y mettent fin ?

Apprendre le système

Il est essentiel de maitriser le système de règle pour lequel on écrit un contenu, et ce particulièrement dans le cas d’un scénario. Ce qui est simple dans un système est parfois très lourd dans un autre, ou vraiment bancal.

Par ailleurs, certains phénomènes réels sont difficiles à traduire. Exemple : un scénario mettant en scène un méchant qui rendrait les aventuriers dépendant à une drogue pour les dominer. Cela pourrait fonctionner en film ou en série, mais en jeu de rôle, la gestion des toxiques est approximative, et je n’ai pas vu encore de système proposant une mécanique efficace dans ce domaine. On imagine bien qu’un auteur livrant un scénario « texte à trous » (parce qu’il n’a pas étudié les mécaniques) crée un enfer pour le coordinateur. Qui va rattraper ça ? Comment ? Au prix de quelle masse de réécriture ?

La « puissance » et la « normalité » varie selon les systèmes. Si on décrit une abominable pieuvre géante qui met en péril des aventuriers de 5e édition d’un niveau supérieur à 4, de quoi dispose-t-on dans le SRD ? La pieuvre géante est une bête avec un FP bien trop faible pour être inquiétante. Quant au kraken… là, c’est l’inverse.

En somme, il n’est pas raisonnable d’écrire une histoire sans bases sérieuses dans le système. Mais combien de temps cela prend-t-il d’apprendre ce système ? C’est variable selon sa complexité et votre familiarité avec diverses mécaniques, mais une lecture sérieuse d’un gros livre de base prend plusieurs heures.

  • Budget : l’éditeur fournit le PDF
  • Temps : sur un gros livre, rarement moins de 15h

Apprendre l’univers

Je distingue l’apprentissage de l’univers de celui du système, car certaines mécaniques sont appliquées à des univers très différents. Typiquement la 5e édition est utilisée pour plusieurs univers. Je viens de vérifier sur le GRoG (Guide du Rôliste galactique) les gammes :

L’apprentissage d’un univers est plus ou moins complexe et problématique.

  • Problèmes : gammes à secrets ; gammes à gros livres (ou très nombreux) ; textes narratifs et subjectifs ; pas de coordinateur disponible pour endosser le rôle d’encyclopédie vivante ; livres se répondant les uns aux autres avec des références glissées ; devoir jongler avec plusieurs notions complexes de l’univers
  • Facilité : gamme courte ; style objectif ; enjeux ciblés, ne s’entremêlant pas avec plusieurs autres.

■L’écriture

Quand il est question de signage, je m’exprime en « caractères espace compris » et 1K = 1000 signes.

La V1 complète

Quand vous voyez des mentions sur le rythme d’écriture sur ce blog, elles portent sur du « propre complet », de l’écriture non brouillonne, mais directe.

  • Budget : –
  • Temps : habituellement entre 2K et 5K par heure, et de l’ordre de 50K/ semaine

La relecture de fond et les playtests

La relecture de fond est indispensable à la qualité des rendus, et elle implique des échanges réguliers autant qu’approfondis.

Les scénarios et les bestiaires gagnent fortement à être testés.

  • Budget : – (si assuré par le coordinateur ou des amis)
  • Temps : plusieurs heures pour le relecteur ; temps variable d’échanges avec les relecteurs

Les reprises

Il faut prendre de la distance par rapport au texte et reprendre tout méthodiquement. De fait, outre les retours de fond et de playtests, il faut relire, idéalement avec un regard froid, en s’assurant que les renvois sont harmonisés, les données bien annoncées, le plan réguliers, et tous (vraiment tous) les retours traités.

  • Budget : –
  • Temps : aléatoire. Au mieux 20K par heure. Dans le pire des cas, un bug a été débusqué, et il faut réécrire des passages plus ou moins importants.

🔷 Au final, qu’est-ce que l’éditeur paye ?

Il est utile de connaitre son rythme d’écriture (heure, jour, semaine) pour faire une projection. En effet, il est fréquent (mais pas systématique) qu’une partie de la rémunération soit proportionnelle au signage. Est-ce que la base du contrat est suffisante pour le travail en lui même (écriture et reprise), tout en tenant compte du travail invisible ? Il faut parfois sortir la calculatrice et l’agenda pour voir comment se présentent les choses.

Si vous fouillez sur Internet, les données ne sont pas brillantes. Ci-après, trouvé sur metiers.org en 2023.

Selon le ministère de la Culture, sur la base de 88 000 professionnels enquêtés, il a été établi que le salaire moyen d’un auteur est de 5 318 euros brut par an, soit 443 euros brut par mois. Mais ces données cachent beaucoup d’inégalités.

Le salaire d’un auteur en fonction de son profil

En France, moins de 2 % des auteurs recensés gagnent plus de 54 000 euros par an. Le pourcentage d’auteurs gagnant plus de 8 000 euros par an est d’environ 13 %. Quant à la grande majorité, elle perçoit difficilement 1 098 euros par an

Et pour ceux qui veulent rêver un peu des gros revenus, un détour par les Inrokuptibles (article de 2014).

….

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