J’ai commencé à lire des ouvrages sur la mythologie grecque quand j’avais 7 ou 8 ans, et depuis cet environnement ne m’a jamais quittée. J’ai en particulier toujours eu une grande affection pour les entités chtoniennes et les fleuves infernaux.
Cet article présente la démarche de création et les outils utilisé pour concevoir un enfer, depuis son environnement jusqu’à ses pistes d’aventures. Il est illustré avec un chantier en cours et un autre achevé dans sa forme romanesque.
- 🔷 Principes de création de civilisation
- 🔷 Une « sous-région » dans un ensemble déterminé
- 📕 Détour par les Enfers d’In-Existence
- 📚 Détour bibliographique
- 🔷 En conclusion ?
Dans des thématiques proches…
Les invités de l’hiver
Une introduction aux esprits de l’hiver en Artland et un aperçu des méthodes de création employées.
Qu’est-ce que FIM ?
FIM désigne à la fois un univers en création continue depuis environ 1999 et un système. Il s’agit du cadre de mes créations personnelles, aussi bien univers que scénarios ou romans.
L’univers FIM
FIM (ou Fortuna Imperatrix Mundi) désigne l’ensemble de mes créations, recouvrant d’une part un univers, et d’autre part un système. Cette page vous donne les clefs pour vous familiariser avec lui.
In-Existence
In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.

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🔷 Principes de création de civilisation
La conception d’une civilisation se fait selon un parcours toujours similaire.
- 1. Une esthétique. Je commence par rassembler des images et des sensations qui me sont inspirantes, des environnements qu’il me plairait d’explorer. Cette phase est parfois rapide, et parfois très laborieuse. Il s’agit d’agréger des fragments d’émotions jusqu’à ce qu’ils se structurent.
- 2. Des situations dramatiques. Sitôt que je « vois » le lieu, l’étape suivante est la définition de ce qui s’y passe. Quels événements s’y produisent ? Des enquêtes feutrées ? Des complots ? Des anecdotes légères ? Des concours de cuisine ? …
- 3. Tisser la structure. Comme dans une toile d’araignée, je m’attache à créer des liens structuraux entre les éléments qui seront associés. Ces fils constituent ma charpente, la base de ma construction. Chaque intersection et chaque fil implique des explications. Pourquoi tel lieu existe-t-il ? Quelle technologie est nécessaire ? Quel régime politique ? Quelle économie ? Chaque réponse devient un élément de structure sur lequel s’appuyer pour concevoir les suivants.
- 4. Renforcer la robustesse de la structure. Les éléments dramatiques essentiels ont été posés, il reste à consolider en se posant des questions très terre à terre. L’ordre des réponses n’est pas important, l’essentiel est que chaque nouveau développement du cadre soit cohérent avec les précédents.
- D’où viennent l’air, l’eau, la nourriture ?
- D’où proviennent les sources d’énergie utilisées ?
- S’il y a des espèces ou des peuples différents, comment se sont-ils rencontrés ?
- Comment est organisée la société ? L’économie ? Les communications ?
Des exemples d’articles sur les espèces et leur évolution dans un cadre fantasy
Humanoïdes et hominoïdes (1/2)
Un détour par la théorie de l’évolution pour repenser les espèces de fantasy, et au travers de ces exemples, avoir des outils de création d’univers. Tout d’abord quelques principes généraux.
Humanoïdes et hominoïdes (2/2)
Voici un exercice de fantasy pour donner un aperçu de la manière dont on peut s’en servir pour rendre les univers fictifs plus riches et plus profonds.
🎨 Utiliser des images et de la musique
Durant la première phase « esthétique », je travaille en m’appuyant sur des images, notamment avec des tableaux Pinterest.
Dans la mesure du possible, j’évite les illustrations de fantasy pour me concentrer sur des objets, des plantes, de l’architecture, des textures, des paysages… Le but n’est pas de copier un produit fini, mais d’avoir les ingrédients pour composer une nouvelle œuvre.
J’ai aussi tendance à composer des playlists par ambiance d’écriture, pour retrouver plus facilement la saveur que je recherche.
💥 Un ordonnancement du chaos
Il n’est pas question de déterminer la formation du monde, puis de la planète, puis de la région… Pas plus qu’il ne s’agit de baliser une civilisation dans l’ordre : terrain, économie, politique, etc. Ces approches sont épuisantes (trop de facteurs à aborder) et rendent parfois complexe la détermination des histoires qu’on peut créer.
La méthode ici employée est centrée sur l’histoire et les situations dramatiques. L’enjeu est de déterminer ce qu’on veut raconter, ce qui est motivant, et seulement ensuite de passer le monde en revue.
C’est seulement au moment de renforcer la robustesse que l’approche devient plus méthodique et systématique.
🔷 Une « sous-région » dans un ensemble déterminé
Quand on a établi la saveur d’un vaste territoire, les sous-régions qui le composent permettent de les décliner en multiples aspects et variations. Le principe est simple, mais il est peut-être plus facile à visualiser avec un exemple. Je développe celui d’un domaine infernal, mais il y a beaucoup d’autres possibilités.
- Le Kaan dans l’univers de Dragons/Fateforge (présentation Grog) a été conçu comme un cadre Sword & Sorcery
- Chaque cité était une variation au sein de ce genre, mettant en avant une composante associées à d’autres dans des proportions variées : décadence, ancien pouvoir, ruine, mort, religion tourmentée, etc.
■Un concept global d’Enfer
Les « Enfers » de FIM (et donc d’In-Existence qui en fait partie) n’ont pas de dirigeant et ne sont pas la sanction d’une condamnation par une divinité. Les âmes qui s’y rendent sont attirées par des domaines qui leur ressemblent, et qui sont influencés par elles, en une boucle de rétroaction (plutôt négative). Les domaines s’imposent comme des réalités et racontent une histoire, une vision du monde qui confirment les certitudes pessimistes des créatures qui ont fondé le lieu et l’ont entretenu. Les créatures attachées à un domaine sont nommées « attraces », et celles qui sont lucides par rapport à la situation, des « daeluces ». Il est possible de passer d’un statut à l’autre, même si une créature qui a été daeluce une fois aura plus de facilité à le redevenir.
■ Un concept régional de Cercle
Les « Cercles » sont des dénominations régionales, suggérant une tendance thématique, par exemple : Certitude, Colère, Folie, Horreur… Cela permet d’avoir un semblant de géographie, et de passer d’un domaine à l’autre pour les daeluces.
■Un concept local de Domaine
Le Domaine est la véritable unité dramatique, celle qui est vécue dans une histoire (romanesque ou ludique). Les drames s’y répètent en boucle : sitôt qu’un protagoniste « meurt », il est reconstitué, amnésique (ou avec une mémoire factice adapté à l’illusion du territoire). Et tout recommence.
Quant à la libération, elle implique un doute par rapport à l’histoire et à la morale affirmée par le domaine. C’est la remise en question des évidences et des schémas narratifs qui permet de se détacher. Si on compare avec le jeu de rôle, la libération consiste à ne pas « jouer le jeu », à ne pas suivre le scénario, à gambader à côté.
La libération permet de basculer du statut d’attrace à celui de daeluce, mais vous n’êtes pas encore sorti d’affaires à ce moment là !
Exemple : L’Archipel des Naufragés
Introduction
Le voyageur arrive ici par deux chemins : la tempête ou les catacombes. Il découvre un ensemble d’îles rocheuses et âpres, au relief accidenté. Elles sont tantôt de climat polaire, tantôt tropical, mais elles sont toujours hostiles. Il semble impossible de faire autre chose que lutter pour sa survie, à n’importe quel prix. Tout ce qui ne vise pas cet objectif est méprisé comme futile, vain et inutile.
- Attraces : des désespérés, pris au piège, dans le dénuement, isolés de tout, et à la merci de la violence et la loi du plus fort ; des individus cyniques, convaincus qu’il faut arracher et dominer pour avoir sa part. Ils sont massivement convaincus d’être des survivants de naufrages abominables.
- Drame : convaincus de devoir se battre pour survivre, les attraces volent, tuent, brutalisent, attaquent préventivement, se défient les uns des autres.
- Libération : le simple fait de partager ses vivres, de faire confiance, de ne pas devenir fou de rage en cas d’incident sont autant de pas dans cette direction.
Inspirations « déclic » :
- « Nunalleq, un site alaskien entre passé et présent » in Archéologia n°639, février 2025, p. 56-63
- « Dossier Les guerres napoléoniennes » in Archéologia n°639, février 2025, p. 34-49
L’île de Cabrera dans les Baléares a accueilli plus de douze mille soldats napoléoniens entre 1809 et 1814. Cette île concentrationnaire est difficile à cerner. Les chroniqueurs ont laissé une image horrifique de cet internement, mais certains détenus ont lutté contre le désespoirs et le dénuement par des distractions et des activités artisanales. La « caverne des dragons » est éloignée du port et difficile d’accès, mais cet immense espace couvert comporte des ressources importantes en eau douce, localisée dans sa partie inférieure. Les soldats laissent leur marque par des gravures sur les parois. Ailleurs, dans une carrière de Touraine, ils ont gravé et peint des fresques naïves sur les murs, décrivant leur parcours.
Outre les deux articles qui ont servi de déclic, ce territoire puise dans tous les récits de naufrages cauchemardesques venus jusqu’à moi, ainsi que la littérature du glissement vers l’horreur de groupes isolés, qu’il s’agisse de sectes ou de fictions de type Sa Majesté des mouches (sur Wikipédia).
Ambiance
Les références à des ères historiques se lisent dans les techniques de construction des navire. Ils vont possiblement du XVIe au XIXe siècle, avec une prédilection pour la navigation à voile, et une dominante 1780-1830.
Les îles sont similaires aux lieux de naufrage les plus atroces et les plus tragiques. En un seul archipel, tous les climats peuvent être découverts. Qu’il fasse 30°C ou 0°C, le ciel est toujours couvert ou voilé. Il n’y a pas de firmament ni de lumière diurne véritable.
Et à partir de là ?
On a du matériel de construction : des naufrages, un environnement naturel hostile, des attraces portés à se nuire mutuellement, convaincus qu’il faut prendre pour s’en sortir et que la coopération n’est qu’hypocrisie. La défiance et la brutalité conduisent précisément à ce qui était prévu : une perte généralisée de confiance et un climat constant de tension, de marchandages brutaux, de spoliations, d’humiliations…

📕 Détour par les Enfers d’In-Existence
Chaque jour de la série « La toile de la malédiction » s’achève par le souvenir de la visite d’un enfer. Dans celui qui suit (citation extraite), vous reconnaitrez le « Cocyte », l’un des fleuves infernaux grecs qui connait ici une nouvelle incarnation. On retrouvera d’ailleurs ses sources dans une autre exploration, tandis que le Styx et le Léthé figurent encore ailleurs.
La Fange des Tours Brisées constituait un vaste marais trempé des larmes du fleuve Cocyte. Le territoire était-il situé dans le Deuxième ou dans le Troisième Cercle ? Illustrait-il la vanité de cette nomenclature ?
Alekto contemplait le sombre panorama depuis le sommet d’une haute colline. Elle était assise sur un rocher qui dominait un pierrier traître. Des ajoncs venimeux poussaient en bosquets agressifs tandis que le reste de la végétation était composée d’herbes sèches, de joncs aux pointes piquantes, et de saules noirs tordus.
Le ciel bas était agité de lourds nuages noirs, fréquemment déchirés d’éclairs démesurés. Ils n’étaient pas aussi brefs que dans le monde matériel, de sorte qu’il était possible de voir à l’œil nu toutes les veines et les ramifications énervées qu’ils formaient. Le roulement du tonnerre était tel qu’il couvrait tous les sons et faisait trembler jusqu’au sol. Les pluies torrentielles n’étaient pas rares, et provoquaient des inondations en faisant brutalement monter le niveau des eaux pendant l’équivalent de quelques heures à quelques jours.
Quand il ne pleuvait pas, les cieux étaient occupés par des nuées de milliers de sanguinaires ptinekditis. Ces créatures avaient un aspect évoquant tour à tour l’oiseau de proie, la chauve-souris, le cygne noir et l’archéoptéryx. Leur vol avait quelque chose d’épileptique et d’étrangement chiffonné – comme s’ils étaient secoués par des tourbillons aussi chaotiques qu’erratiques. Alekto était partagée quant à ces créatures. Étaient-elles des attraces locales ou bien des aspects du domaine lui-même ? Les ptinekditis étaient aveugles à la présence des êtres qui n’entraient pas en résonance avec les illusions de ces contrées. En revanche, elles s’acharnaient volontiers sur les habitants humanoïdes.
Les populations de la Fange des Tours Brisées se rassemblaient dans les bâtiments emblématiques des environs. Ces édifices d’ampleur mythiques formaient un paysage de ruines blessées et orgueilleuses à la fois. Elles évoquaient les vestiges d’une cité perdue qui se serait noyée dans les profondeurs des boues salées.
Chaque tour cylindrique était unique, mais elles partageaient indéniablement une unité de style. Elles étaient des chefs d’œuvre de marbre blanc. Les escaliers dépourvus de garde-corps tournaient autour des édifices. Des galeries à colonnes et des arches à berceau contribuaient à donner une sensation de construction antique ou médiévale impossible. Aucune tour n’était totalement droite. La plupart étaient penchées, légèrement ou franchement. Le cas échéant, elles pouvaient être soutenues par des échafaudages approximatifs. Quelques-unes étaient totalement couchées ou véritablement englouties – il n’en restait alors que les derniers étages.
Les attraces ici se nommaient eux-mêmes les « Survivants ». Ils érigeaient leur méfiance en vertu, convaincus de l’hostilité des autres groupes. Chacun se montrait jaloux de ses bricolages, de ses récoltes, et de ses improvisations dans l’urgence. Ils formaient des sociétés qui se voulaient soudées et liées par l’honneur. Chaque individu devait prononcer des serments censés démontrer son engagement absolu et sa loyauté perpétuelle. L’existence était âpre, mais la sensation de faire partie d’un petit groupe d’exception étaient galvanisante. Même ceux qui étaient au plus bas de la hiérarchie se pensaient meilleurs que les autres à l’extérieur – sans compter bien sûr les supposées victimes du prétendu grand cataclysme.
Cet événement était présent dans toutes les mémoires, et il provenait directement de l’influence du domaine. Alekto avait senti l’illusion tenter de s’immiscer dans son esprit et façonner ses souvenirs. Elle avait ainsi pu voir le scénario d’un désastre parfait : épidémies, pénuries, effondrement de l’État, guerre civile… Soudain chacun luttait contre les « autres » qui accumulaient une combinaison caricaturale de défauts – avidité, impulsivité, violence débridée, cruauté sans borne, appétits sexuels exacerbés…
Les Survivants croyaient avoir trouvé ici le dernier refuge de l’élite de l’humanité – les plus forts, ceux qui étaient aptes à survivre et ainsi le méritaient. Le retour à la sauvagerie qu’ils vivaient était une forme de transcendance qui leur permettaient de retrouver leur nature profonde. Ils avaient la certitude que le monde les confirmait dans leur idée de la faiblesse de la civilisation et de la corruption antérieure du système. Cela prouvait la nécessité de créer ses propres règles au sein d’un microcosme se revendiquant anarchiste alors qu’en vérité les membres subissaient un contrôle strict.
📚 Détour bibliographique
- Timothy GANTZ, Mythes de la Grèce archaïque, Belin 1993, 2004 (trad). Ce pavé de plus de 1400 pages vaut son prix (50 euros il y a… quelques temps). Il fait le tour des mythes, des généalogies, et surtout, il s’intéresse à la fois aux textes et aux représentations sur des céramiques, ce qui est parfois intéressant pour des variantes. Les analyses pointent les anomalies et les manques dans un récit, tandis que l’index est très confortable d’usage pour retrouver la moindre mention de protagonistes.
- Revue sur OpenEdition. Pour peu qu’on soit prêt à passer quelques heures à fouiller dans les articles, il y a beaucoup de matière, parfois très inspirante, dans les revues de recherche. Je vous mets juste quelques liens sur une thématique antique et un vers le catalogue de l’ensemble des revues. Le choix est vertigineux et on trouve des perles dans des endroits inattendus.
Pour chercher plus de lecture
Bibliographie en mythologie comparée
Cet article présente des ressources en mythologie comparée et pour mieux comprendre les mythologies contemporaines qui sont très présentes dans la fantasy et la science-fiction.
Ressources et bibliographie
Pour aller plus loin : lecture, ressources…
🔷 En conclusion ?
Je réfléchis à un scénario susceptible de tenir en trois heures pour des démos à Troll & Légendes. Nous saurons d’ici un bon mois si je suis prête à temps !


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