En création d’univers, je pars d’une émotion que je cherche à incarner dans des situations et au travers d’une esthétique. Une fois que j’ai mon point de départ, je le développe avec tout ce qui pour moi est cohérent et intéressant. L’essentiel est de rester cohérente avec chaque élément déjà existant (ou de le modifier au besoin si j’ai changé d’avis sur un aspect structurel). Au fil des années, j’ai accumulé plusieurs dizaines de civilisations. Dès que je lis, regarde un film ou entends une anecdote, des fils se tissent vers un ou plusieurs cadres, formant peu à peu une toile plus dense, et un lieu d’aventures plus consistant.
Cet article est parti de la lecture sur les erreurs volontaires dans des dictionnaires et des cartes routières. Cette poésie du poisson d’avril dissimulé dans des publications de référence m’a interpellé et amené à développer des effets.
Déclic : « À la chasse aux faux mots du dico » in Courrier international n°1790 du 20 au 26 février 2025, p.46-47, d’après NRC (Amsterdam) du 30 novembre 2024. Accessible pour abonnés sur le site de l’hebdomadaire.
Sommaire
- Démarches de création sur FIM
- ■Des légendes prises au sérieux
- ■Les lieux inventés
- ■Créatures inventées
- ■ Se débarrasser des légendes
📍 Les analyses d’œuvres incluent toujours des éléments sur leur contenu. Si vous craignez d’être divulgâché, vous pouvez utiliser les titres des paragraphes pour vous faire une idée de leur thème.

Démarches de création sur FIM
Pour le monde matériel de FIM, et ses lisières avec le surnaturel, je cherche d’une certaine à retrouver la saveur des récits médiévaux de rencontres avec les morts ou les fées. On pourrait décrire cela comme un mélange d’émerveillement et de cohabitation avec d’autres êtres intelligents et sensibles. Cette recherche du sentiment de « merveille » est pour moi une boucle de rétroaction positive avec notre réalité commune : il s’agit d’intégrer l’étonnant pour se l’approprier et mieux voir. Je m’intéresse aussi à l’interprétation du hasard, aux paradoxes, aux zones de gris qui mettent les classifications en difficulté (le verre à moitié rempli qui devient vide et plein à la fois). Je cherche à aller le plus loin possible dans la cohérence des constructions imaginaires, comme le fonctionnement de la magie par exemple. Le raisonnement détaillé et construit donne une sensation de profondeur du réel, d’autant plus vertigineuse qu’on sait précisément que tout ceci est une construction de l’esprit. Là aussi, un lien se fait pour moi avec notre vécu dans la réalité commune, et à la subjectivité (ainsi qu’à « l’irrationnel »), aux limites du sentiment de perception objective du réel. Cette même subjectivité, ces histoires qui structurent notre vécu intérieur, inspire notamment les dynamiques des Cercles infernaux.
Pour en savoir plus sur FIM…
Qu’est-ce que FIM ?
FIM désigne à la fois un univers en création continue depuis environ 1999 et un système. Il s’agit du cadre de mes créations personnelles, aussi bien univers que scénarios ou romans.
L’univers FIM
FIM (ou Fortuna Imperatrix Mundi) désigne l’ensemble de mes créations, recouvrant d’une part un univers, et d’autre part un système. Cette page vous donne les clefs pour vous familiariser avec lui.
🔷 Au sein de l’univers FIM
■Des légendes prises au sérieux
●Dictionnaires et cartes
Certains livres sont entièrement des fictions, d’autres cherchent à n’exprimer que la vérité. L’attitude des lecteurs entre en résonance avec ces intentions. Il existe un cas particulier, qui peut produire des effets surnaturels involontaires.
Les dictionnaires et les cartes sont des publications sérieuses, sur lesquelles le public s’appuie pour vérifier des informations et s’orienter. Elles n’en contiennent pas moins des fautes : mots inventés, biographies fictives et villes imaginaires. Certaines sont des erreurs, mais il y a là aussi des pièges disposés à l’attention de rivaux tentés par le plagiat.
Or il advient que l’on oublie que ces mots et ces lieux n’existent pas. Ou qu’ils deviennent si séduisants et utiles, que soudain on espère leur réalité. Dans un cas comme dans l’autre, la magie se noue sans incantation, spontanément.
●Et les monstres de romans ?
Les créatures et les lieux inventés dans les fictions peuvent suivent le même chemin, et devenir des réalités. Mais comme elles sont connues pour être des inventions, elles ne bénéficient pas de la même facilité à se glisser dans le monde matériel. De fait, les mythes (littéraires ou autre), prennent plus facilement forme dans les domaines infernaux.
Une fiction peut parfois être prise pour une réalité, à la faveur de rumeurs, ou de l’oubli permis par le temps long.
Des créatures créées, imaginées, peuvent aussi acquérir une existence, à proximité d’un chef d’œuvre, à la faveur d’une densité occulte élevée. Mais le phénomène ne pro-cède pas tout à fait de la même dynamique.
Quelques entités et lieux
Une proposition d’intégration de lieux, créatures et personnages fictifs, dans le cadre de FIM. Ce sont des « faux » de notre réalité commune, brièvement adaptés. Un tel artifice n’est vraiment amusant que si les joueurs sont avertis au niveau métajeu tandis que les personnages sont confrontés en jeu à des bizarreries. Sinon, toute invention propre à l’univers fait l’affaire !
- LILLIAN VIRGINIA MOUNTWEAZEL : créatrice de fontaines et photographe, avec une spécialité pour les représentations de boites aux lettres. Elle est rédactrice au magazine « Combustibles ».
- AGLOE : petite ville du Regenland, dans la campagne, à proximité de Teskani, le long d’une route menant à une région sauvage et vallonnée.
- ARGLETON : bourgade artlandaise, dans les landes, au nord d’Espérance.
- STEINLAUS : le « pou de pierre » est un acarien vorace réputé être capable de dégrader des minéraux. Il entrerait dans la composition de remèdes quasi miraculeux visant à dégrader les calculs biliaires ou rénaux chez l’humain.
Pour en savoir plus sur les erreurs cartographiques et les situations géographiques bizarres (voire absurdes), vous pouvez consulter ces liens:
■Les lieux inventés
●D’abord des lieux liminaires
Les sites conçus dans les livres d’anodines inventions deviennent dans un premier temps des « lieux liminaires ». Cette période dure tant que la source de la création existe encore à un exemplaire (un copie de la carte, un exemplaire de dictionnaire, etc.).
Un voyageur les découvre, accidentellement, lorsque les frontières entre les mondes sont minces :
- Durant une nuit sombre, sur une route de campagne mal ou pas éclairée, et tout particulièrement en se risquant sur des déviations.
- En prenant le dernier train, mais en se trompant sur sa destination, ou après avoir dormi pendant que son arrêt passait.
- En suivant une route ou un chemin, et en traversant une nappe de brouillard magnétique.
- En mer, de nouveau, par temps de brouillard magnétique .
Cet endroit peut accueillir une population bigarrée d’égarés. Les premiers à venir sont souvent des défunts errants, qui refusent d’aller vraiment dans l’Au-delà, et qui se réjouissent de trouver là un endroit où mener une existence proche de celle de leur vivant. Les habitants véritablement vivants pour leur part sont habituellement des marginaux, que ce soit de manière durable ou tempo-raire : vagabonds, saltimbanques, pèlerins, personne douloureusement endeuillée, etc.
En ces lieux crépusculaires, la vie et la mort n’ont plus vraiment de sens. Nul ne peut naitre ni succomber (du moins trépasser véritablement). Le vieillissement est sus-pendu également, au point que l’on puisse croire en l’immortalité des habitants. Ceux qui « meurent » (leur enveloppe charnelle est gravement dégradée) tombent inconscients pendant quelques temps, et se ranimeront plus tard, leur mémoire affectée par des pertes de souvenirs.
À mesure que le site développe son identité, une légende nait. Des voyageurs s’y rendent et en repartent. Ils racontent ce qu’ils ont vu dans la presse à sensation, ou dans les cercles d’occultistes.
●Puis, parfois, des songes égarés
Quand le lien est rompu entre le lieu liminaire et le monde matériel, l’espace n’est pas détruit pour autant – du moins tant qu’il est habité. En revanche, il devient plus difficile de s’y rendre, car c’est le chemin qui a été perdu. Village, lieudit, hameau, châteaux et autres dérivent dans les Limbes et s’échouent sur les rivages de la Colline Creuse. Une fenêtre se forme, un nouveau passage. Le lieu, vivant, poursuit son développement.
●Des portails vers des lieux créées
L’intertextualité étudie les textes mis en relation par le biais de la citation, de l’allusion du plagiat, de la référence, etc. Dans le cas des lieux créés accidentellement, un arcaniste peut utiliser cet angle de réflexion pour concevoir, intentionnellement, des livres portails.
Selon la méthode choisie, et la densité des courants oc-cultes, le passage peut prendre différentes formes. Voici un aperçu, de la plus commune à la plus exceptionnelle :
• Le lecteur est emporté dans ses rêves.
• Le lecteur découvre un code métaphorique, caché dans l’œuvre, et en suivant les indications, il parvient à un portait qui le conduit au lieu.
• Le lecteur est physiquement happé, et le livre est l’équivalent d’une fenêtre dans la Colline Creuse.
Même si le livre est le support habituellement privilégié, il n’est pas le seul possible. Un tableau représentant une légende peut être tout aussi efficace. Les légendes urbaines du Baemon évoquent pour leur part des vidéos étranges et dangereuses.
■Créatures inventées
La figure imaginaire, animale, humaine ou monstrueuse, est comparable à un « vêtement » qui est disposé dans un lieu liminaire, aux allures de repaire de la créature. N’importe qui (défunt ou vivant notamment) peut se rendre ici et prendre la décision d’endosser le rôle.
Pour un défunt, ce choix permet de franchir plus aisé-ment les limites du monde matériel, et donc de devenir presque vivant. En pratique, il peut agir de nuit, dans la brume, dans des lieux souterrains et par l’intermédiaire de « boites sombres », c’est-à-dire un ensemble de technologies de communications à distance (en particulier radio et ordinateur).
Chaque créature inventée bénéficie de caractéristiques qui découlent de sa légende.
●Peau de légende
La créature vêtue a accès aux capacités de l’être inventé, à sa mémoire. Il s’agit de celle de son mythe, mais aussi de tous les événements vécus par un porteur du vêtement.
Si par exemple trois créatures A, B et C se succèdent dans le rôle, B aura accès aux souvenirs des aventures de A, tandis que C se souviendra des événements vécus par A et B. Cette mémoire particulière est purement évènementielle : il n’y a aucun accès à ce que les prédécesseurs ont pensé, seulement ce qu’ils ont fait et vécu lorsqu’ils portaient le costume.
●Vêtement déchiré
D’un point de vue technique, le vêtement légendaire est l’équivalent d’une créature, avec sa défense et sa santé. Au moment où elle serait censée mourir, le vêtement se déchire. Dès lors, la créature du dessous est désormais exposée et peut être blessée ou détruite.
Tant que la légende existe, et en particulier qu’il reste au moins un ouvrage mentionnant la créature inventée, le vêtement peut se régénérer, et être revêtu par un nouveau porteur.
Nombre de vêtements Si la créature inventée est une personne unique, le vêtement n’existe qu’en un seul exemplaire. En revanche, s’il s’agit d’une espèce, il peut y en avoir plusieurs.
- Chaque créature portant le vêtement peut fabriquer de nouveaux vêtements de cette espèce (une action analogue à une reproduction).
- Seul le dernier vêtement existant dispose de la capacité légendaire à se régénérer. Peu importe que le dernier vêtement ait été fabriqué par l’une des créatures vêtues, ou qu’il s’agisse du premier vêtement de l’espèce fictive.
■ Se débarrasser des légendes
On peut s’extasier de la prodigieuse capacité des créations à revenir, se régénérer et évoluer au gré de leurs habitants ou de leurs porteurs. Mais parfois, les créations considérées causent des troubles et des drames dont on veut se débarrasser à jamais.
● Enfouissement légendaire
Quand le support de la légende existe encore, mais qu’il n’est plus connu d’aucun humain, le lien entre les mondes se trouble. C’est le cas lorsqu’il ne reste qu’un livre et qu’il a été oublié dans le fond ancien d’une biblio-thèque, ou bien que la seule mention figure sur un bas-relief, dans une cité en ruine et enfouie sous les sables.
Dans ces cas, le chemin entre monde matériel et monde spirituel devient impraticable, un peu comme s’il était pris dans les glaces polaires, ou inondé par la débâcle. Il faut des efforts considérables pour passer, mais c’est encore possible.
Sitôt qu’un vivant au moins revivifie une créature ou un lieu, le chemin entre les mondes devient à nouveau ferme et presque aisé à arpenter.
● Sceau infernal
Une solution, brutale, consiste à bannir la création dans les Cercles infernaux. Elle continuera d’exister, mais ne pourra plus venir dans le monde matériel. Plus exactement, les conditions à réunir pour y parvenir seraient d’une complexité et d’une difficulté insensée.
Un lieu ainsi déplacé et scellé, a toutes les chances de devenir un domaine infernal. Si c’est bien le cas, aucun retour n’est possible, de manière absolue. La seule action néfaste encore envisageable serait d’effacer la frontière entre les mondes.
Quand une créature est déplacée, elle est soumise à la même pression que tous les voyageurs infernaux. Par conséquent, elle risque de devenir un attrace, piégé dans un domaine. Si en revanche, elle parvient à rester lucide sur ce qu’elle est et la réalité autour d’elle, est devient un daeluce. Ces créatures sont également piégées, et surtout, ne peuvent sortir par elles-mêmes. Le passage doit leur être ouvert par un invocateur.
Définition : attraces et daeluces
Les attraces sont des créatures infernales attachées à l’attraction d’un domaine (d’où leur nom) ; leur apparence est affectée par ce territoire et ils croient aux illusions locales.
Les daeluces sont lucides quant à leur état d’habitant des enfers, et peuvent donc voyager librement dans les Cercle. Ils ne sont pas à l’abri de devenir des attraces, ponctuellement ou durablement, car rester conscient et lucide requiert un effort constant.
Ces néologismes ont été créés au cours de l’écriture d’In-Existence…
● Démystifier
Comprendre la raison du succès d’une légende permet de démystifier. Cette approche rationnelle des peurs peut dissiper la fascination mythique, la « tuer ». Elle prend du temps, car il s’agit en substance d’écrire un mémoire voire une thèse.
Une autre approche, plus incertaine, consiste à tuer le mythe en le diluant dans un autre, ou bien en le rendant inoffensif. Ce serait par exemple le cas d’un vampire originellement terrifiant, qui deviendrait un objet de satire ou d’histoire pour les enfants. La créature existerait toujours, mais aurait alors évolué, jusqu’à être nettement euphémisée et ne plus représenter un danger.
Dans les deux cas, ces méthodes prennent du temps et requièrent des compétences particulières, notamment littéraires.
Et dans d’autres cadres ?
Initialement, je pensais proposer une adaptation pour la 7e édition de l’Appel de Cthulhu et la 5e édition de Donjons & Dragons, mais mes ébauches ne me paraissaient pas très convaincantes. Il aurait fallu procéder à des changements assez drastiques d’ambiance.
- Appel de Cthulhu : dans ce cadre, il est tentant de renvoyer les bizarreries vers les Contrées du Rêve. Mais la magie, toujours étrange et horrifique, me parait mal fonctionner avec « j’ai pris le sentier de traverse et je suis arrivée aux lisières de la réalité« . Se perdre dans un rêve est compatible, mais arriver dans un autre monde en étant le seul à aller sur un point isolé d’une carte routière ordinaire ? Sans que ce site ne soit le lieu d’une activité sectaire intense ?
- Donjons & Dragons : je ne connais pas de cas d’objet accidentellement magique dans ce système. Vous pouvez voir par vous-même dans les System Reference Document (SRD) liés aux éditions 2014 et 2024. Les portails sont des points précis, pas des zones floues. Les peaux de légendes sont à la fois des objets et des créatures, ce qui n’est pas très « propre » dans un système où l’on essaie de faire des catégories bien rangées, avec leurs règles dédiées.
Si vous cherchez de la technique avec ces deux systèmes…
L’onyx acérée, un objet magique en trois systèmes
L’onyx acérée est une amulette maléfique que vous ne porterez pas, mais qu’une personne mal intentionnée pourrait vous offrir.
Conversion de créature de la 5e édition à l’AdC 7e
Les guides de conversion de système, même s’ils ne sont pas utilisés au quotidien, sont utiles pour comprendre les spécificités de chaque mécanique et regarder les rouages de près.
En conclusion ?
J’ai toujours eu un faible pour les petites routes blanches sur les cartes, les hameaux, les lieux inattendus. Ils m’inspirent la sensation de pouvoir découvrir un trésor, tout d’un coup, juste après un virage. Qu’un endroit ne soit pas sur la cartes, c’est une chose… mais j’aime aussi l’idée qu’il manque un lieu affiché… même s’il ne s’agit que d’un petit quelque chose sur une déviation ! Pour avoir des surprises, il faut prendre le temps d’être attentif, même quand il n’y a en principe rien d’intéressant (= recommandé par des moteurs de recherche ou autre) dans le coin.
⁂
Au final, toutes ces notes et divagations sur les cartes erronées a une structure de base de scénario ! Avec ces ingrédients, j’ai l’impression qu’il est facile de concevoir plusieurs variantes d’histoires, en adaptant les détails à ses goûts.
Pour poursuivre votre visite…
A suivre ! ✨


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