Voilà quelques siècles (un peu moins en fait, mais ça me parait loin), j’avais commencé à proposer des éléments de réflexion de fond pour les univers fictionnels, en présentant des outils pour penser la magie. Il s’agira cette semaine de briques conceptuelles pour créer la vie, et donc incidemment des créatures en science-fiction comme en fantaisie.
La définition de la vie est délicate, car il faut s’appuyer sur le réel de notre monde, mais ne pas être trop « géocentré », au risque de ne pas être capable de reconnaitre la vie sur d’autres planètes. A ces questionnements d’exobiologie s’ajoutent ceux des sciences s’intéressant à la création de machines ayant composantes vivantes (un lien vers l’article sur les xénobots en conclusion).
Quelques articles récents avec l’étiquette « Bestiaire » pour créer des créatures
Références : les articles sont accessibles sur le site de la revue (accès abonné ou achat à l’unité).
- « La quête des principes universels de la vie » in Pour la Science n°545, mars 2023, p. 24-33
- « “LYFE” : la vie redéfinie » in Pour la Science n°545, mars 2023, p. 34-39
- « L’homme qui voulait répliquer la vie » (à propos de John von Neumann en 1948) in Pour la Science n°545, mars 2023, p. 74-79
Sommaire
- 🔷 La reproduction selon von Neumann
- 🔷Les quatre principes de LYFE
- 🔷Encore plus d’indices du vivant!
- En conclusion ?
📍 Les analyses d’œuvres incluent toujours des éléments sur leur contenu. Si vous craignez d’être divulgâché, vous pouvez utiliser les titres des paragraphes pour vous faire une idée de leur thème.
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🔷 La reproduction selon von Neumann
De ce que je comprends de l’itinéraire de von Neumann, c’était un touche à tout doté d’une grande capacité d’abstraction, à même de lui permettre d’anticiper des principes du vivant (et de l’ADN) avant la découverte de celui-ci. L’intérêt de sa réflexion est de nommer des caractéristiques du vivant (la reproduction et ses conditions) en les appliquant à une « machine », et donc en sortant du domaine de l’organique. La reproduction est indispensable à la vie, mais ce n’est pas une condition suffisante. La distinguer du vivant permet d’envisager des machines (en science-fiction) ou des automates (plutôt en fantaisie) dotés de cette capacité.
La « théorie de l’automate » de von Neumann « s’articule autour de la machine universelle de Turing. Pour peu qu’on lui procure la description d’une autre machine de Turing, quelle qu’elle soit, et une liste d’instructions, la machine universelle peut l’imiter. […] Trois choses sont selon lui nécessaires et suffisantes. D’abord, il faut à la machine un jeu d’instructions pour en construire une autre à son image – comme le ruban de papier de Turing, mais composé du même “matériau” que la machine proprement dite. Ensuite, elle doit posséder une unité de fabrication capable de bâtir un nouvel automate en suivant ces instructions. Enfin, il faut à la machine une unité capable de créer une copie des instructions et de les insérer dans la nouvelle machine. »
« Les instructions “accomplissent en gros les fonctions d’un gène. Il est clair également que le mécanisme de copie accomplit l’acte fondamental de la reproduction, la duplication du matériel générique, qui est clairement l’opération fondamentale de la multiplication des cellules vivantes.” […] De légères altérations des instructions “peuvent présenter certains traits caractéristiques que l’on associe à la mutation, le plus souvent mortels, mais parfois susceptibles de continuer la reproduction avec une modification des traits.” »
« Von Neumann présume justement des limites de son analogie : les gènes ne contiennent pas d’instructions d’assemblage détaillées par étapes, “seulement des conseils généraux, des indices généraux” – on sait aujourd’hui que le reste est fourni par l’environnement cellulaire du gène. »
🔷Les quatre principes de LYFE
Le modèle LYFE (prononcé « loïfe ») vise à proposer des caractéristiques nécessairement présentes chez toute créature vivante.
■Principe 1/4 : Dissipation d’énergie
Un système vivant dissipe de l’énergie, par exemple en mangeant et en digérant. On retrouve ici le deuxième principe de la thermodynamique qui servait déjà de piste pour consolider la magie.
« Le deuxième principe de la thermodynamique affirme qu’un système isolé évolue spontanément vers la maximisation de son entropie, c’est-à-dire qu’il sera en général de plus en plus homogène et désordonné, jusqu’à atteindre un état d’équilibre. […] La vie semble suivre une évolution exactement opposée : elle exhibe des architectures de plus en plus riches et de plus en plus complexes. »
Les organismes vivants n’échappent pas aux lois de la thermodynamiques. « Ils sont capables de maintenir une structure complexe, car ils ne sont […] pas des systèmes isolés. Dès lors, ils se placent loin de l’équilibre thermodynamique en exploitant l’énergie disponible dans le milieu. Ils conservent localement une entropie faible en dissipant les gradients d’énergie libre de leur environnement, et en accroissant d’autant l’entropie de ce dernier. On parle alors de “structure dissipative” ».
Dans la nature, un exemple est fourni par les cellules de convection. Les cellules vivantes « se maintiennent structurées et loin de l’équilibre thermodynamique en profitant des gradients d’énergie ou des potentiels chimiques dans leur environnement. »
🎃 Toutes ces questions biscornues qui se posent
La question de l’équilibre et du désordre causé par la vie est facilement exploitable pour un univers de fantaisie, offrant aux nécromanciens et autres seigneurs du chaos des éléments de langage. En science-fiction, on peut aussi avoir des réflexions et discours autours de l’impact inévitable du vivant sur son environnement. Ce dernier ne peut pas rester stable ou inerte sitôt que le vivant intervient. Alors… si on considère par ailleurs qu’il existe une dimension spirituelle, est-ce que le vivant est une pollution du monde matériel ?
D’un point de vue plus prosaïque, il faut simplement se demander d’où vient l’énergie qui anime une créature et comment elle fait pour s’en procurer suffisamment. Par exemple, d’énormes dragons carnivores volant en nuées… Comment un monde peut-il perdurer avec des milliers de dragons carnivores? Que mangent-ils ? A quel rythme ? Se nourrissent-ils uniquement de viande ou de quelque substance magique ? Et si c’est le cas, de quoi s’agit-il et quelles sont les conséquences ? La magie utilisable par les humains serait-elle par exemple un « déchet » des flux consommés par les dragons et justifiant que leur présence est associée à la pratique de la magie?
■Principe 2/4 : Reproduction par autocatalyse
Un système vivant est capable d’autoréplication avec des variations. On peut aussi parler de système chimique automaintenu capable d’évolution darwinienne.
L’autocatalyse est « la capacité à s’accroître en se reproduisant ; cela conduit à une croissance exponentielle, tant que les ressources nécessaires sont disponibles. »
🔥Au-delà du vivant, les élémentaires
Le feu peut se reproduire par autocatalyse, mais sans variation ni évolution darwinienne. La question de cet élément m’amène forcément à m’interroger en fantaisie sur les « élémentaires ». Par nature, le feu est le seul qui a un comportement proche du vivant : ni l’eau, ni la terre, ni l’air ne peuvent y être comparé.
On peut alors se demander s’il faudrait envisager des cadres de fantaisie avec uniquement des élémentaires de feu ? Ce serait une sorte de monde « pyrocène », ravagé par des flammes vivantes.
Si on veut des élémentaires d’autres éléments, il faudrait alors qu’ils puissent se reproduire par autocatalyse. Le feu consomme du dioxygène et du carbone dans l’opération ; il resterait à identifier une ou deux composantes (un métal, un gaz…) qui seraient consommées par un élémentaire (d’eau, d’air, de terre) pour se reproduire.
- Ce faisant on aurait l’équivalent d’incendie, mais avec de l’eau ou de la terre ou de l’air.
- En contrôlant le phénomène, on pourrait imaginer des sources faciles à créer (pour des gens du désert, c’est intéressant !) ou de la terre (utile quand on ne vit que sur un îlot…) ou de l’air (pas mal pour des gens qui vivent sous terre ou sous l’eau ?).
■Principe 3/4 : Maintien des conditions internes
Un système vivant est capable d’homéostasie, en maintenant certaines de ses conditions internes quand les conditions extérieures changent. Il faut comprendre par là un maintien de l’eau dans ses cellules, ou de la température du corps.
■Principe 4/4 : Utilise les informations de son environnement pour survivre
Un système vivant apprend de son environnement, améliorant ainsi ses chances de survie. L’évolution darwinienne correspond à une capacité d’apprentissage à l’échelle de l’espèce, en encodant indirectement dans les gènes des caractéristiques de l’environnement et des moyens de s’y adapter. L’association est un autre mécanisme d’apprentissage, faisant le lien entre stimulus et événement, enclenchant des réactions d’anticipation. La capacité d’apprentissage doit rester flexible pour faire face aux modifications dans l’environnement. Il faut pouvoir désapprendre les associations obsolètes.
💀 D’où l’on déduit que les spectres sont vivants !
Si on considère les spectres dans le SRD 5.1 (Donjons & Dragons), ils peuvent créer d’autres spectres, c’est à dire qu’ils se reproduisent. Il y a tout lieu de croire qu’ils dissipent de l’énergie (d’ailleurs ils se nourrissent). Ils évitent les lieux ensoleillés et bien « vivants », ce qui suggèrent qu’ils maintiennent activement leurs conditions internes, incompatibles avec cet environnement qui est hostile pour eux. Vu leurs caractéristiques mentales, les considérer comme capable d’apprendre au moins autant qu’une méduse ou une amibe ne me parait pas exagéré.
En mettant les indices bout à bout, il me semble qu’il faille considérer que les spectres sont vivants et qu’ils représentent seulement une forme de vie d’une autre réalité (plan éthéré, …).
🔷Encore plus d’indices du vivant!
La vie se caractérise également par des autres traits qui recoupent les précédents :
- Complexité : selon la théorie des assemblages, plus une molécule est complexes (nombre d’assemblages moléculaires) et plus elle a des chances de provenir d’une forme de vie
- Hors équilibre : la vie se distingue de son environnement avec par exemple des concentrations inattendues de certaines molécules (ou isotopes). Par exemple pour un animal vivant dans la mer, moins de sel que son environnement.
- Les lois d’échelonnement : la chimie des petites cellules ressemble beaucoup à celle de leur environnement. Les cellules plus grandes s’en distingueront de plus en plus. L’abondance de différentes tailles tend à suivre une relation connue sous le nom de loi de puissance : on a beaucoup de petites cellules, et leur nombre décroît très vite à mesure que leur taille augmente. Ainsi, on pourrait imaginer dans un environnement extraterrestre de découvrir de nombreuses petites choses qui ressemblent à leur environnement, des choses de plus en plus grandes, moins nombreuses et qui ressemblent de moins en moins à leur environnement.
En conclusion ?
En réfléchissant aux fondamentaux du vivant, on a des outils pour penser des écosystèmes plus animés, avec des créatures de toutes les tailles (beaucoup de petites et minuscules), de la nourriture magique (pour les élémentaires et peut-être les dragons !). Ces détails sont autant d’occasions de surprendre les aventuriers, d’offrir des résolutions de situations plus étonnantes, et de rendre le monde lui-même plus vivant ! 📚✨
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A suivre ! ✨
Fortuna Imperatrix Mundi 
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