Dans quelle mesure le lecteur d’un texte (ou le spectateur d’un film) comprend-il ce que l’auteur a voulu transmettre ? Les contresens sont-ils un problème ? A quel point peut-on et doit-on être clair ?
Ces questionnements se mêlent avec ceux relatifs aux techniques d’écriture, et à la vanité de la quête de perfection, tant les injonctions paraissent contradictoires.
📝 Quelques articles évoquant le parcours de recherche
Articles :
- « Société. Sorti il y a vingt-cinq ans, « American Psycho » est devenu la référence des masculinistes« , sur Courrier international en ligne depuis le 18 mai 2025 (pour abonnés)
- « Vidéo. La fascination des « incels » pour « Fight Club » ? David Fincher ne se sent « pas responsable », Courrier Stories du 3 novembre 2023
- « Psychologie. La bibliothérapie, ou comment la lecture soigne » sur Courrier international (abonnés), mis en ligne le 15 mai 2025, d’après un article publié dans Dazed
- Podcast – Le coeur sur la table, créé par Victoire Tuaillon, édité par Binge (les épisodes évoqués ont été enregistrés en juin 2021)
- It Is Impossible To Separate Neil Gaiman From ‘The Sandman’ , par Alex Zalben (2 juillet 2025)
Sommaire
📍 Les analyses d’œuvres incluent toujours des éléments sur leur contenu. Si vous craignez d’être divulgâché, vous pouvez utiliser les titres des paragraphes pour vous faire une idée de leur thème.

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📝Journal d’écriture
■ Des enquêtes à faire peur
Mon enquête sur l’écosystème de l’écriture (plateforme, conseils, blogues d’auteurs, etc.) a eu pour effet un moment de « perfectionnite » (une inflammation du système d’amélioration des compétences). Avant d’en venir à préciser les symptômes, un rappel des éléments saillants de contexte.
D’abord les recommandations pour le livre lui-même :
- En trois chapitres, l’intrigue doit amener les enjeux, permettre d’identifier le personnage principal, et de savoir nommer ses ambitions autant que les obstacles.
- L’incipit (début) doit être intriguant et clair.
- Surtout pas trop d’informations dans un début de livre, le lecteur n’arrive pas à mémoriser autant de données ! (on parle d’infodump) D’ailleurs c’est valable après, le lecteur ne retient pas plus de trois noms. Cinq, c’est clairement trop.
- Les informations doivent être utiles à l’intrigue, parce que le lecteur ne sait pas ce qui est important et secondaires, et il ne veut pas charger sa mémoire de « trucs inutiles ».
- Il ne faut pas abuser des mystères et jouer de la tension.
- Les personnages doivent être mis à l’épreuve, on doit trembler pour eux et, à l’inverse, s’ils sont trop protégés des obstacles, le texte est bon à jeter.
- Chaque chapitre doit apporter une composante en Attachement (pour les personnages), Nouveauté, Tension ou Satisfaction.
- On ne peut pas s’attacher à un personnage qui parait victime des circonstances. Pire, on risque d’éprouver de la pitié, voire du dégoût à son égard. Et s’ennuyer (péché suprême).
- Dans un roman choral, pas plus de 4 points de vue, sinon on se perd, l’action est diluée.
- Les premiers jets sont bons à jeter ; aucun texte ne vaut quoi que ce soit sans le passage dessus de plusieurs « bêta lecteurs ». (Note : s’ils sont par ailleurs eux-mêmes auteurs, ils veulent que vous lisiez aussi leurs textes, donc… il faut en théorie lire 3 romans pour avoir des retours suffisants sur 1… à mettre en rapport avec la taille de votre projet)
- N’oubliez pas aussi que le livre doit exprimer votre « voix » unique…
- … mais que tout a déjà été écrit, et qu’il y a des techniques et des approches et des méthodes à respecter ! L’écriture c’est un métier !
- Ah oui, et puis « show, don’t tell »… donc montrer sans dire…
- … sans oublier d’être clair et explicite sur les motivations du personnage principal et de son antagoniste ! (donc… les dire ?)
Tout cela, c’est pour ce qui est dans le livre. On peut y ajouter :
- Une infirme partie des gens qui écrivent sont édités à compte d’éditeur. D’ailleurs, le marché est en crise, et personne ne lit plus (hors romance et polar, mais en polar seuls quelques auteurs stars vendent vraiment).
- Les comités de lecture sont souvent en partie (parfois en majorité) de bénévoles qui apprécient les publications de la maison d’édition. Ce niveau de sélection a, selon toutes les données que j’ai à ce jour, les caractéristiques d’une instance d’évaluation hautement soumise au bruit (selon la terminologie de Kahneman, Sunstein et Sibony – présentation sur Babelio) et donc en langage plus prosaïque, il y a une part d’aléatoire important.
- Les éditeurs et sélectionneurs pro éliminent les textes soumis sur la base de critères internes, incluant la maitrise de la langue, ou des appréciations sur le synopsis (description de l’intrigue complète). Ils reçoivent tellement de texte qu’ils sont dans une optique d’écrémage au hachoir.
- Personne ne s’engage sur plus d’un livre « one shot » (en un tome, fermé) avec un inconnu, car les risques de perte sont trop élevés.
- … pourtant les contrats d’édition comportent fréquemment une clause imposant de présenter les un ou deux livres suivants au même éditeur.
- … d’ailleurs on lit aussi bien des témoignages d’agents littéraires que d’éditeurs se plaignant de jeunes auteurs ayant réussi un « bon premier roman » et qui ne font plus rien derrière.
- Aucun éditeur sérieux ou sensé ne se lance dans des séries, car il veut d’abord savoir s’il arrivera à vendre l’auteur. Les séries, c’est pour les auteurs (de roman) confirmés, dont on sait qu’ils vendront.
- Le marché des autrices et lectrices (le féminin est de rigueur en l’espèce tant la proportion est massive) est présent sur Instagram et TikTok, avec un amour des objets « beaux » (un peu comme les rôlistes quadra qui sont réputés constituer la clientèle des souscriptions de jeu de rôle et chercher des éditions collector).
■ Quand tout est hors catégorie, vraiment tout…
Si on met, même superficiellement en regard le signage et les points de vue (tableau ci-après), on remarque vite que tout sort des clous des critères d’acceptabilité. Il y a peu (hier, par rapport au moment d’écrire cet article), j’ai listé toutes les questions auxquelles je cherchais des réponses sur l’ensemble d’In-Existence. J’ai rempli une double page de carnet A5 (avec une présentation en nuage, mais ça reste beaucoup). Comprendre par là que je ne sors pas de la complexité ou du mystère de sitôt, car je dois moi-même trouver la réponse !
| Série | Remarques |
| A – La toile de la malédiction | 5 parties 2,4 millions de signes Débute au « JOUR 1 » Points de vue (de plus de 1 chapitre) : 11 au moins |
| B – L’emprise de l’ogre | 3 parties 1,2 millions de signes Débute au « JOUR 1 » Points de vue (sur plus de 1 chapitre) : 5 au moins |
| C – Le puits des âmes | 2 parties 0,5 millions de signes Débute au « JOUR 4 » Points de vue (plus de 1 chapitre): 8 au moins |
| D – [Point de rupture] | 2 parties 0,5 millions de signes Débute au « JOUR 4 » Points de vue (plus de 1 chapitre): 5 au moins |
| E – Le bord du monde | 1 partie En réflexion : j’ai écrit des chapitres à Pariki et ils forment manifestement une unité distincte. |
■ Regard critique sous perfectionnite
Le bon sens impose de simplifier, couper, rendre les séries autonomes. Clarifier les enjeux, éviter les longues phases de réflexion des personnages… dans le but de rendre ces monstres plus accessibles. En fait… à peu près tout le contraire de l’existant !
La perfectionnite, c’est la volonté d’améliorer le texte pour le rendre accessible au plus grand nombre, en partant du principe que « sinon, c’est sûr, personne ne lira« . Quelque part, j’ai presque l’impression que c’est « face je gagne, pile tu perds » : pas assez profond, trop évident, ou trop hermétique, ou elliptique ou trop lent, ou… Bref, plus on s’intéresse aux doctes recommandations et plus on est étranglé par elles. C’est un champ d’injonctions contradictoires, et je commence à me dire que j’ai matière à créer un enfer avec elles.
Là, après discussion avec « 🐻 » (nom de code de ma première lectrice), un constat s’est imposé : ce n’est pas possible, et ça ne rime à rien.
■ Au fond, c’est quoi In-Existence ?
In-Existence, c’est l’histoire d’une crise, d’un moment de changement en profondeur d’un monde. Pendant longtemps, des tensions se sont accumulées, et à un moment, une étincelle provoque le déraillement généralisé.
L’étincelle, c’est la Voyageuse. Elle erre dans les Enfers depuis si longtemps qu’elle a oublié son nom et ses souvenirs du monde matériel, mais pas son intention de ressortir. L’opportunité se présente à elle et elle la saisit. Ce faisant néanmoins, elle devient une malédiction incarnée, répondant au désir implacable de vengeance de son invocateur. Elle cherche à se libérer totalement, en limitant les dégâts, alors même que les réactions en chaine se multiplient et prennent de l’ampleur.
In-Existence raconte le parcours de personnes qui sont confrontées au changement, et choisissent (ou pas) de se libérer (et de s’adapter) sur fond de monde au début d’un bouleversement.
Si j’ai choisi des groupes de points de vue (qui forment les séries), c’est pour comprendre comment ces individus appréhendaient la situation. De là, j’étais frappée que nul, dans toute la crise, ne comprend vraiment, en profondeur, la globalité de l’événement. Chacun agit avec des données parcellaires, parfois dans l’urgence tout en en tentant de trouver la moins mauvaise des solutions. Chacun est le héros de son histoire, même si du point de vue du lecteur, il n’est qu’un « figurant ».
D’ailleurs, précisément, cette manière de se raconter, comme de raconter le réel (sous forme d’histoires prévisibles) est au cœur des enfers présentés (dans les souvenirs de la Voyageuse) et du fonctionnement de la malédiction. La recherche de solutions est donc aussi liée à ces notions. Chaque série forme une histoire avec des arches narratives. Selon l’ordre de lecture, la perception des événements et des personnages est différente. L’ensemble, enfin, constitue une sorte de métahistoire qui parle avec le lecteur, en somme une mise en abime implicite.
■ Et donc ?
En me plongeant intensivement dans les recommandations, je n’ai pas l’impression d’avoir eu de révélations. J’ai la sensation d’apprendre davantage en prenant un livre et en le disséquant méticuleusement. Bonus : parfois ça m’apporte des réflexions pour créer des lieux ou des personnages. J’ai justement un brouillon d’article sur un enfer en conception d’après : Tade THOMPSON, Les meurtres de Molly Southbourne, 2017 (trad 2019 chez Le Bélial’). De même, le personnage d’Émilie Voss (série D) est ma réaction à des lectures de romance.
J’ai l’impression qu’il faut me faire une raison : In-Existence est un concept qu’il sera difficile de « vendre ». Dans ces conditions, il serait pire que tout de perdre mon élan et mon plaisir de le développer. Bon point : je n’ai pas de problème de page blanche, et j’écris raisonnablement vite. De là, il est toujours possible de travailler sur mon « chantier perso », incluant le mode d’emploi de « comment dénouer une malédiction narrative », et de réfléchir à des chemins détournés pour ne plus être une inconnue (dans le roman).
■ Anecdotes de relectures
Cette période d’enquête s’est accompagnée de retours sur des parties plus ou moins importantes de mes textes. J’ai découvert que la perception du lectorat s’éloignait parfois beaucoup de la mienne. Ce constat a été le déclic de cet article.
🔷 Que retient-on d’un texte ?
■ Quand on ne lit pas le même livre… en lisant le même livre
La perception d’un texte, mais plus largement d’une œuvre, est un sujet qui me questionne depuis très longtemps déjà. Dès le début des années 2000, en lisant les témoignages de lecteurs de SFFF (science-fiction, fantasy, fantastique), je m’étais rendu compte d’un phénomène qui m’embêtait beaucoup.
Les lecteurs enthousiastes décrivaient un roman, et en les lisant, je m’imaginais le texte qui allait avec. Or, en découvrant le livre, je ne reconnaissais pas grand-chose. Les noms de personnages étaient bien les mêmes, les lieux vaguement similaires… mais je ne lisais pas la même histoire. Parfois, je percevais même l’inverse.
Un exemple récent : j’ai exploré les plateforme d’écriture et j’ai conséquemment feuilleté pas mal de romances. J’étais stupéfaite du contraste entre l’enthousiasme des lectrices (personnages attachants et profonds, intrigue riche et palpitante, etc.) et ma propre sensation au bout de quelques chapitres. J’en venais à développer une sorte de malaise.
Je regardais (intérieurement) où j’étais en lisant l’histoire, et je ne voyais pas du tout la même chose. Nul cadre idyllique ou mystérieux, mais en fait une grande pièce carrée, blanche, nue, aveugle, sans porte, plongée dans une relative pénombre. Dedans se trouvait une jeune femme (l’autrice), assise au sol, devant un théâtre de marionnettes, et jouant avec deux poupées de chiffons.
En somme, l’antithèse de la lecture-évasion ou de l’idée d’un imaginaire qui ouvre les horizons !
🔍 Autour de l’exploration des plateformes d’écriture
■ Le sens d’un livre pour le lecteur « individu »
J’ai du mal à comprendre d’où provient une telle différence de vécu d’une œuvre. Cette question du sens de l’œuvre pour le lecteur me rappelle des lectures.
« Un esprit libéré » de Steven C. Hayes un ouvrage de psychologie, présentant une thérapie connue sous l’acronyme ACT (sur Wikipédia). Elle se présente sommairement comme une version améliorée de la psychologie positive (sur Wikipédia) et des thérapies cognitivo-comportementales (sur Wikipédia). Je ne l’ai pas fini, je ne parle vraiment que du début, présentant les principes généraux. Elle s’intéresse à ce qu’elle surnomme un « dictateur intérieur », une sorte de petite voix dépréciative, de type « tu n’y arriveras jamais« , « les autres se moqueront encore de toi« , etc. Si je résume ce que j’ai compris (d’un début de survol, donc), les histoires qu’on se raconte constituent un problème, en déformant la perception de la réalité, et en enfermant l’individu dans un impasse faite de souffrance psychologique alimentée par une boucle de rétroaction négative. L’idée est alors de déconstruire le schéma de l’histoire toxique, pour aller vers une histoire intérieure qui permette de mieux vivre.
« Bienvenue à la librairie Hyunam » de Bo-reum Hwang est un roman contemplatif centré sur le parcours de convalescence psychologique de plusieurs personnages se rencontrant dans la librairie du titre. Ils en tous en commun d’avoir été au bout de l’épuisement et de chercher un nouvel équilibre, peut-être modeste, mais qui leur convient. Le rythme et le ton sont assortis à cette ambiance émotionnelle. C’est presque de l’anti-adrénaline. Outre cet aspect majeur, la première partie du livre pose beaucoup de question sur la manière de trouver le bon livre pour la bonne personne. L’autrice semble pencher vers : « il faut comprendre la phase de vie du lecteur pour lui proposer des œuvres qui explorent ces problématiques ».
Le nom « bibliothérapie » existe depuis le début du 20e siècle (avec une origine humoristique semble-t-il). Il s’agit désormais d’une véritable thérapie. Le principe semble assez proche de ce qui est décrit dans Bienvenue à la librairie Hyunam :
Chaque livre prescrit doit permettre au patient de mieux identifier ses émotions, de prendre du recul et d’entrevoir de nouvelles possibilités. L’objectif est de trouver du réconfort dans la lecture afin de gérer des moments de vie parfois trop lourds à porter. Ce traitement permet de trouver du sens dans ces situations compliquées qui engendrent un trop-plein d’émotions. […]
« C’est l’art de donner le bon livre à la bonne personne et au bon moment. »
Le simple désintérêt pour un livre peut alors se comprendre comme une rencontre qui ne fait pas écho à nos problématiques.
■ Un détour par le sens de la romance
Toujours dans le domaine du sens de l’histoire pour le lecteur (enfin, ici en majorité écrasante, une lectrice), j’ai trouvé une proposition d’explication du succès de la romance sur le podcast « Le cœur sur la table » en 2021, créé par Victoire Tuaillon (pour suivre ses travaux plus récents, c’est sur Substack). Ce modèle du « miroir » me parait assez efficace, et pouvoir s’étendre au-delà du champ de la romance : aime-t-on un personnage en ce qu’il nous ressemble ou en ce qu’il incarne des qualités qu’on voudrait acquérir ?
Celle qui m’a indiqué cette voie, c’est la féministe américaine Gloria Steinem, dans un essai génial où elle fait la distinction entre la romance et l’amour. Ce qu’elle explique, c’est que l’état de romance, qu’il soit désagréable ou exaltant, ça nous parle en fait beaucoup plus de
nous que de l’autre. Souvent, on devient obsédé par quelqu’un qui a des qualités qu’on a pas su ou pas pu développer.
Par exemple… L’humour. Le fait d’être à l’aise en société. De prendre beaucoup de place. L’indépendance. L’assertivité. Plein de trucs.
[…]
J’adore cette théorie parce que ça permet aussi d’expliquer pourquoi les femmes sont beaucoup plus sujettes à la romance, à l’obsession amoureuse que les hommes : puisqu’on nous a dénié la possibilité de développer tout un tas de qualités, qui sont codées comme
masculines, et bien les femmes ont un plus grand besoin de projeter ces parties réprimées sur un autre être humain. Comme si c’était un moyen de les récupérer.
En d’autres termes, si on est tellement attirées par des mecs puissants, c’est juste le signe que c’est notre propre puissance qui nous manque. Et si tant de mecs sont attirées par des femmes très douces, ou très sensibles, peut-être que c’est juste parce que c’est leur propre
sensibilité ou leur propre douceur, qui leur font défaut.
Et Steinem donne ce conseil génial : pour essayer de comprendre ce qui vous manque, ce dont vous avez vraiment besoin, écrivez, sans trop réfléchir, toutes les qualités que vous recherchez chez un partenaire idéal.
■ Une compréhension à l’inverse de l’intention
Si l’admiration dans la romance est un effet recherché pour le bon fonctionnement de l’œuvre, on assiste parfois à des appropriations d’œuvres très loin de ce que l’auteur pouvait imaginer, voire souhaiter.
American Psycho (le roman de Brett Easton Ellis sur Wikipédia ; le film de Mary Hammon sorti en 2000 sur Wikipédia) décrit un serial killer consumériste, obsessionnel de son apparence et travaillant dans la finance – ce qui l’aide beaucoup à financer son train de vie. On pourrait se dire que c’est une satire et une critique acide de l’ultralibéralisme cynique, assimilant la finance à des comportements psychopathiques. La charge critique est pourtant complètement effacée dans l’admiration pour le succès matériel.
Dans le même ordre d’idée, Fight Club (le roman de Chuck Palahniuk sur Wikipédia ; le film de David Fincher en 1999 sur Wikipédia) décrit un personnage souffrant d’un trouble de la personnalité. Pourtant une partie du public, en l’espèce se revendiquant du mouvement incel, a retenu les discours prononcés dans le film, mais pas la fin qui donne un autre éclairage.
Dans les deux cas, on assiste à une sélection, qui ont sensiblement le même effet qu’une citation hors contexte tendant à donner un sens opposé à celui qu’on peut lire quand on s’intéresse à l’ensemble. Ce mécanisme est frappant dans le cas de satires dont on ôte le second degré pour adhérer au message dénoncé. Un peu comme si on voyait du procès de Kafka un éloge du totalitarisme (sur Wikipédia). La perception est biaisée, mais en fait… elle l’est souvent. Tout le temps ?
■ Changer de regard en fonction de la biographie de l’auteur
Un autre exemple réside dans le biais de relecture, à la lumière de faits connus ultérieurement. Au détour des relais de nouvelles sur Bluesky, j’ai découvert un article d’Alex Zalben (que je ne connais pas) pointant les similitudes gênantes entre des faits de violences sexuelles reprochés à Neil Gaiman (sur Wikipédia) et plusieurs éléments d’intrigues de Sandman. Le regard sur l’histoire a complètement changé, pour le même lecteur (enfin, spectateur en l’espèce).
En français, durant mes lointaines années de lycée, on nous incitait à nous intéresser à la vie de l’auteur pour comprendre son œuvre. A l’époque, c’était pour moi complètement abscons. Je voyais uniquement le livre, tout seul, et l’influence du contexte me paraissait aussi vaporeuse que douteuse.
Pourtant, savoir qu’Arthur Conan Doyle était un mystique amène à s’étonner d’autant plus du rationalisme forcené de Sherlock Holmes. Dans quelle mesure peut-on mieux comprendre l’œuvre en cernant son contexte de création ? Comment tracer une limite entre création et artiste ?
🎃En conclusion ?
Si on peut mieux comprendre (intellectuellement) l’œuvre en la replaçant dans un contexte, il demeure que le lecteur est acteur de sa réception du texte. Celle-ci fait écho à son état intérieur et aboutit à une sélection (parfois étonnante) de ce qui mérite d’être gardé en mémoire.
Ici on retrouve le débat des livres qu’on a aimé et « relus », en les voyant sous un jour totalement différents.
⁂
Et donc ? Est-ce que cela a vraiment du sens de s’enquiquiner à avoir une expression transparente dans l’espoir que tout le monde comprendra (et retiendra) de quoi parle le texte ? Et le nihilisme dans ce domaine, conduit-il à négliger la cohérence ou à opter pour des fins « faciles » ?
J’ai l’impression qu’il faut accepter de se limiter à « 80-90% des lecteurs comprennent où ils sont et qui est le coupable », tout en espérant que les autres passent un bon moment… peu importe ce qu’ils ont vraiment retenu à la sortie !
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A suivre ! ✨


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