Joyeux Noël ! Puissiez-vous passer d’agréables fêtes de fin d’année et revenir en forme pour 2025 !
Je n’avais pas prévu d’article spécial pour les fêtes, celui-ci découle de prises de notes et réflexions sur la période, et je me suis dit « allez, il ne suffit que de peu de choses pour le poster au bon moment ! ». Alors voilà !
Durant la période des fêtes de fin d’année, quantité de films de Noël sont diffusés, avec des contenus romantiques prévisibles. J’aime assez leurs paysages et le côté douillet associé, mais plusieurs autres aspects me dérangent. Je me demandais « comment me réconcilier avec ce genre ?« , « qu’écrirais-je si j’avais à rédiger une histoire empruntant ses codes ?« .
Je peinais à trouver des réponses évidentes, alors j’ai déterré quelques ouvrages de ma bibliothèque :
- Claude Lecouteux : Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au Moyen-âge (1999, éditions Imago), Fantômes et revenants au Moyen-âge (1996, éditions Imago).
- Pierre Dubois, La grande encyclopédie des Lutins et autres petites créatures (1992, éditions Hoëbeke)
Sitôt qu’il me devenait possible d’envisager un surnaturel moins systématiquement bienveillant, tout est devenu plus simple. Cet article donne un aperçu des développements qui en ont résulté dans le cadre « Artland » et comment certains choix ont été faits.
🔷 Introductions aux créatures de « Noël » en Artland
Ce qui suit est un extrait de travail préparatoire au bestiaire artlandais. Il porte sur un petit segment consacré aux créatures qui voyagent parfois dans le monde matériel aux alentours du solstice d’hiver. Vous trouvez plus bas des précisions sur la méthode et les sources utilisées.
■La magie de l’hiver
On appelle hiver la période de trois mois qui couvre :
• Frimaire (20 novembre-20 décembre)
• Nivôse (20 décembre-20 janvier)
• Pluviôse (20 janvier-20 février)
La période des trente jours avant le solstice (et jusqu’à dix jours après) est nommée « siste ». Elle est une succession de fêtes, de processions, de célébrations locales, de traditions familiales. Il est recommandé d’être très prudent dans ses souhaits et ses promesses, car ces paroles solennelles risquent d’être entendues par les gaestes – des esprits invités qui rôdent alors près des habitations. Tous les serments se font également sous le regard de ces êtres.
Selon les mythes, le temps ralentit jusqu’à s’immobiliser, et reprendre son cours. Les horloges tournent à la même vitesse, les journées continuent de durer vingt-quatre heures, mais pour les humains, tout est insensiblement plus long. L’obscurité et cette propriété du temps se lient pour faciliter les manifestations surnaturelles. Les conséquences – bonnes ou mauvaises – de la présence d’esprits peuvent se faire donc sentir très vite.
■Les visiteurs de l’hiver
Nourrir les morts, pour ne pas être dévorés par eux !
● Les opportunistes strolches
La porte des ombres s’ouvre au cours du mois de brumaire (20 octobre-20 novembre). Les premiers à la franchir sont les créatures les plus proches, essentiellement des errants et des hantises.
- Strolche : un strolche est un esprit vagabond, voyou, misérable, de mauvaise fréquentation, susceptible de jouer de mauvais tours.
- Premiers arrivés et derniers partis : les strolches essaient de s’attarder et restent volontiers jusqu’en fin nivôse (20 décembre-20 janvier). Ils sont de moins en moins nombreux. Les derniers strolches sont bannis lors des fêtes de purifications du carnaval qui s’étendent en pluviôse (20 janvier-20 février).
● Les chasses sauvages
Les chasses sauvages sont des assemblées redoutables d’Outre Monde, visitant le monde matériel à l’occasion de la saison sombre. Ils vont avec la tempête, et leur rencontre est des plus dangereuse.
Les humains cherchent à les apaiser et les amener à de bonnes disposition au travers d’offrande de nourriture déposées à l’extérieur, la nuit tombée.
● Les galaffres, honorés et inquiétants
« Galaffre » est le nom d’une forme d’ogre qui erre durant la période du siste. Il est une émanation de l’hiver vorace que les populations cherchent à apaiser par des offrandes. On lui trouve parfois des dénominations plus sympathiques pour ne pas mentionner sa face sombre et sanguinaire : Krampus, Papa Goulu, Aschenman…
Ce sont des êtres ambivalents, autant capables d’apporter des richesses (ou des jouets) que la mort. Ils emportent leurs victimes dans leur hotte, le voyage vers l’Autre Monde étant analogue à un trépas, et susceptible de prendre la forme d’une boucherie sanguinaire.
Les galaffres ont de l’autorité sur les défunts et peuvent par exemple intervenir quand des strolches causent trop de problèmes.
● Les gaestes invités
Durant le mois de frimaire (20 novembre-20 décembre), d’autres esprits arrivent, des ancêtres, des parrains et marraines, etc. Ces êtres sont réputés répondre aux invitations de ceux qui les aiment, se souviennent d’eux ou honorent des autels des mânes. On leur associe souvent des bénédictions, mais ce n’est pas systématique, et certains peuvent s’engager dans des vengeances pour punir les souffrances d’un de leurs protégés déjà connu, ou d’une personne qui les émeut.
• Gaestes : les gaestes sont des esprits invités, appelés à venir dans le monde matériel durant la période du siste.
■ Qui voit les esprits ?
Deux catégories de personnes sont usuellement capables de voir les esprits, et ne dérange pas leur action.
Les personnes proches de la mort ou vulnérable. Les enfants, les vieillards, les blessés et les malades sont plus fragiles. Cette vulnérabilité les rend plus à même de percevoir les manifestations surnaturelles, mais aussi de ne pas empêcher leur survenue.
Les contemplatifs. Les êtres qui vivent hors de l’urgence, dans une forme de contemplation du monde autour d’eux, sont également plus à même de voir les esprits, leurs manifestations, et de ne pas empêcher leur approche.
Ceci explique pourquoi les « parents » et les « adultes » ne voient pas les lutins ou les gaestes en général, et que les entités surnaturelles tendent à éviter d’agir en leur présence.
■Les symboles des fêtes
● Des chaussettes et des souliers
On fabrique parfois des souliers ou des chaussettes qui ne peuvent être portés par des humains (trop grands, trop petits). Ils sont sensés permettre aux gaestes de retourner dans leur monde, en leur rendant la marche plus agréable.
Les gaestes remercient parfois l’offrande d’un présent, laissé à la place du soulier enfilé. Il faut pour cela que la paire soit tout juste à leur taille, et bien sûre, fruit d’un travail personnel et intentionnel.
Le plus souvent, les cadeaux dans les sabots ou les chaussettes sont le fait de proches, dont les parents. Ils ne dérobent pas les chaussettes ni les chaussures.
● Est-ce une bonne idée d’offrir des sabots géants ?
Certains jeunes gens se mettent dans l’idée que façonner de gros sabots sera une bonne approche pour se faire offrir beaucoup de cadeaux. C’est surtout une invitation à attirer l’attention d’un gaeste de grande taille ! Qu’il s’agisse d’une sorte d’ours anthropoïde ou d’ogre ironique, la présence d’une telle créature n’est jamais dépourvue de conséquences inattendues. Ces gaestes reçoivent en effet si peu de souliers (vu leur gabarit) que la découverte d’une paire pile à leur mesure peut les inciter à des réactions surprenantes autant qu’inhabituelles.
🔷 Méthode et sources
■ La mythologie, une toile déchirée et rapiécée
En travaillant sur FIM (Fortuna Imperatrix Mundi), cela fait longtemps qu’une de mes quêtes consiste à faire de la « restauration de mythologie ». J’entends par là le fait de reprendre des éléments anciens (les âmes multiples germaniques identifiées par Claude Lecouteux par exemple), et les mettre en scène dans un ensemble cohérent, dans lequel on comprend leur sens.
J’étais en effet très embêtée quand je voyais Peter Pan courir après son ombre, les vampires ne pas voir leur reflet, ou des lièvres être décrits parmi la faune des chasses sauvages ! Les mythes ont la peau dure, et des motifs sont transmis d’une génération à l’autre avec obstination, mais sans explication, de sorte que j’étais confrontée à des données « insensées ». Alors, j’ai cherché en mythologie comparée pour comprendre, pour trouver des briques de sens, ou au moins des éléments pour moi, en recréer un. Artificiel, sans doute, mais avec de la consistance.
Pour en savoir plus sur la documentation en mythologie comparée et FIM
Bibliographie en mythologie comparée
Cet article présente des ressources en mythologie comparée et pour mieux comprendre les mythologies contemporaines qui sont très présentes dans la fantasy et la science-fiction.
D’Orphée aux apocalypses zombies
Où l’on découvre que l’on craignait déjà les épidémies zombie il y a 60 000 ans ! 😱 (C’est un raccourci un peu acrobatique, mais l’idée y est)
Du mariage avec un dragon à Twilight
Les rôlistes sont familiers des héros sauroctones (tueurs de dragons) pour sauver des princesses. Dans beaucoup de versions anciennes, la demoiselle voulait se marier avec le dragon…
Qu’est-ce que FIM ?
FIM désigne à la fois un univers en création continue depuis environ 1999 et un système. Il s’agit du cadre de mes créations personnelles, aussi bien univers que scénarios ou romans.
■ Rénovation en Artland
Artland est un cadre fictionnel ayant une saveur « XIXe siècle ». Le travail en univers entièrement imaginaire me donne plus de liberté et la possibilité notamment de trier la mythologie pour recréer du sens. Si on prend les croyances dans le XIXe siècle historique, on a sommairement un mélange de christianisme, de folklore local et d’occultisme, et ces trois ensembles ont certes des points de connexion ici et là, mais ce sont très largement des paradigmes distincts, et en substance, c’est un peu bordélique (et donc incohérent, inconsistant, aberrant, etc.) si on les laisse ensemble.
La première partie de cet article décrit un bout de cet exercice de synthèse et de recréation. Il parait peut-être étrange, mais pratiquement tout est tiré de ce que j’ai trouvé, et qui me paraissait pouvoir bien s’emboiter. Il ne s’agit en aucun cas d’une véritable restitution historique d’un « paganisme idéal » de l’antiquité germanique. J’ai par exemple utilisé une variation sur la théorie des humeurs pour la description en douze éléments (six harmoniques, six dissonants), et cela découle directement de l’occultisme érudit de la période moderne (avant de grands ajouts au XIXe siècle, cf. Stoczkowski notamment, en bibliographie de mythologie comparée). J’utilise cet outil symbolique depuis plus de vingt ans, et je le trouve pratique et souple pour décrire le surnaturel développé.
■ Quelques zooms sur des passages autour des visiteurs de l’hiver
Voici quelques exemples de l’arrière-plan, des données sur lesquelles je me suis appuyée pour cette création.
- Siste : cette période longue est analogue à celle de l’Avent et du Carême, avec des précédents païens.
- Ralentissement du temps : c’est à la fois une perception subjective, et cela ressemble beaucoup à ce qui est décrit dans les rencontres d’êtres surnaturels à midi ou à minuit, à certains moments de transition de l’année, quand le monde matériel et surnaturel se touchent
- Précipitation des effets surnaturels durant le siste : c’est notamment un outil pratique pour la dramaturgie (toujours une préoccupation !), et pour retrouver certains bouts d’ambiance de « films de Noël » où tout va toujours très vite
- Étymologies : je cherche souvent dans les racines de mots évocateurs pour voir leurs cousins médiévaux, ou je bricole à partir de racines germaniques ou latines
- Nourrir les morts pour ne pas être dévorés : ce n’est jamais dit explicitement, mais tout ce que j’ai lu ressemble énormément à cette intention, et des morts dévorateurs existent en quantité dans les mythes ; de manière générale, j’essaie de passer de l’intuitif à l’explicite
- Carnaval : ce sont effectivement des fêtes de purification visant à se débarrasser des mauvais esprits qui traineraient encore
- Chasse sauvage : rendue célèbre dans la pop culture par The Witcher, il existe de nombreuses cohortes furieuses, plus ou moins fréquentables, qui se font surtout voir durant la période entre Halloween-Samain et le Carnaval. Les bandes en question sont composées d’un mélange varié de sorcières (physiquement ou en transe), de dieux germaniques en promenade (Odin), de morts (sympathiques ou non, guerriers ou bandits), de bêtes monstrueuses, de divinités du destin. Concernant les bêtes, il y a des chiens et des chevaux, mais parfois aussi des lièvres et des porcs.
- Galaffre : les ogres sont issus d’une divinité de la mort qui a connu un grand succès, vu toutes ses incarnations. La mort (les morts) engloutit (dévorent) les vivants. Ce ne sont pas du tout des entités sympathiques à la base, on est vraiment dans l’horreur anxiogène. Mais elles ont évolué du fait (1) de la proximité entre morts et richesse ; (2) du christianisme. Le résultat apparemment, c’est un gentil père Noël très fréquentable avec de charmants lutins. De fait, à la base « vivre au Pôle Nord » est synonyme dans les mythes de « vivre dans l’Autre Monde » (donc dans le monde des morts). Les lutins sont aussi des êtres de l’au-delà à la base, et susceptibles d’êtres d’anciens morts.
- Les invités : il était d’usage d’avoir trop à manger pour le solstice d’hiver (fête des morts depuis longtemps), pour laisser les restes aux morts. Se coucher et ne pas les déranger au risque de les surprendre (et d’avoir des problèmes) est une décision très raisonnable. Les morts apportant la richesse (quand ils sont d’humeur), bien les nourrir permet d’envisager une bonne année.
- Aptitude à voir les esprits : c’est une reconstruction avec explicitation avec un mélange de données, notamment tirée du chamanisme (Sibérie), des croyances en territoire slave associé au décès des enfants, des résurgences dans nos fictions contemporaines fantastiques. En somme, dans le film de Noël, la grand-mère qui voit le merveilleux comme les enfants, mais pas les parents, (a) elle est proche de la mort ; (b) c’est une sorcière. Tout de suite, ça change un peu le sens et l’ambiance. Cette question du regard est importante, et transparait aussi largement dans les croyances autour de la capacité (ou de l’incapacité) des morts à revenir à la vie (plus d’informations dans l’article sur Orphée et les zombies).
- Les souliers des morts. Il y a une association entre les morts et une marche biscornue : pieds à l’envers, marcher à l’envers, pattes d’animaux, pied bots, boitement, pieds enflés, nombre de pattes anormal, etc. Il y a aussi l’idée, d’origine préhistorique (voir en particulier les travaux de Jean d’Huy, L’aube des mythes, 2023) que les morts ont une longue marche avant d’atteindre l’Au-delà. On leur donne donc des souliers, des bottes, etc.
Mais que vient faire le lièvre dans la chasse sauvage ?
J’ai enfin compris pourquoi il y avait parfois des lièvres dans la chasse sauvage ! Je n’ai pas passé 25 ans à chercher activement, mais j’ai trouvé la réponse 25 ans après m’être posé la question ! Merci à la lecture de : Jean d’Huy, L’aube des mythes, 2023.
Pour vous épargner beaucoup de tension dramatique et d’attente à propos de ce mystère, voici un résumé des données :
- Le lièvre est associé à la Lune depuis la Préhistoire africaine.
- Pourquoi ? Ce n’est pas possible d’être certain, mais si vous avez déjà vu un lièvre « marcher », il a l’air de boiter. J’ai vu ça une fois de près avec un lièvre qui claudiquait autour de ma maison, d’assez près pour vois ses yeux. C’est très impressionnant comme bestiole. Or l’association {mort-boiter-longue route} semble tout aussi ancienne.
- La Lune est associée notamment à l’immortalité, à la mort.
- Lors de l’arrivée des populations humaines aux alentours de la zone tibétaine, il y a eu la découverte du loup (qui hurle à la lune, donc association facile), de l’hiver aussi. L’arrivée en Eurasie, dans le monde de la neige et de l’hiver a donné lieu à des changements mythologiques. Il y en a toujours quand les sociétés évoluent.
- Il me manque des briques pour être plus assurée, mais la nuit semble associé à la prédation, à la mort, à la chasse.
- Les morts, au moins en Europe, sont associés aux tempêtes.
- Au moins en Europe, les morts se promènent en hiver, durant la saison sombre.
En dépit du long voyage des mythes, le lièvre, mauvais serviteur de la Lune (ils se sont beaucoup disputé) durant la préhistoire africaine, a subsisté jusqu’au moyen-âge européen en étant attesté comme monstre présent dans une chasse sauvage ! Il en étant sans doute le membre le plus vénérable, avec pas loin de 60 000 ans ! (dès qu’il est question de préhistoire, les durées sont vertigineuses).
🔷En conclusion…
S’intéresser aux mythes et à leur sens permet de comprendre quand on invente vraiment quelque chose de nouveau, et quand on se place dans une longue tradition. Les anciennes associations d’idées sont coriaces, et perdurent durant des milliers d’années.
J’aime l’idée de sortir du « Ta Gueule C’est Magiques » (TGCM) et de donner du sens au surnaturel. J’ai l’impression que la profondeur qu’on y gagne contribue à un voyage merveilleux plus satisfaisant, la découverte d’un monde plus vaste.
Artland, comme cadre de jeu, et le Regenland (avant tout comme cadre de roman actuellement) sont deux territoires où je m’efforce de donner vie à ces rénovations, qui ne sont qu’une des nombreuses manières d’articuler les briques et d’y ajouter du liant.
Pour poursuivre sur ces thèmes…
FIM – Artland
Artland est un cadre fictif inspiré du 19e siècle, avec une orientation enquête & ambiance. Il s’intègre dans le vaste ensemble « FIM ».
In-Existence
In-Existence est un cycle composé de trois séries autonomes. L’ensemble emprunte aux genres des histoires de gangsters, de l’urban fantasy et de la low science-fiction. Chaque série explore un aspect d’une même crise, complexe et multifactorielle.
Les trois arcs d’In-Existence
Le chantier de restructuration d’In-Existence du début 2024 s’achève avec désormais trois arcs, trois séries dans le même univers.
Légendes insulaires en Artland et dérives des idées
Au travers de la lecture de brèves d’actualité, la création de contenus en dérives d’associations d’idées.


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