Révolutions et répressions

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Notre monde représente, dans la profondeur du passé comme celle du présent, une épaisseur de complexité vertigineuse. Il est impossible de tout maitriser. Aussi, pour créer des cadres fictionnels, j’ai besoin de « modèles », c’est à dire des schémas simplifiés, des procédures, des check-lists.

Pour une civilisation souterraine, je passe ainsi en revue tout ce qui rend la vie possible à de grandes profondeurs. Les réponses que j’apporte à chaque question détermineront les particularités d’un cadre.

L’article de ce jour propose un modèle pour gérer les crises de régime et les révolutions.

Quelques articles sur la création d’univers…

Références : il y a beaucoup trop de sources pour cet article ! Ce modèle s’appuie sur mes lectures de la presse d’actualité (Le Monde, Courrier international), de cours d’histoire de l’URSS et sur la Révolution française de 1789, mais aussi les autres crises du XIXe siècle, les institutions d’Ancien Régime, des débats d’experts et de journalistes sur la Cinquième et Arte, ou sur France Culture souvent aussi…

Sommaire

  1. 🔷 Quelles sont les conditions nécessaires à une révolution ?
    1. ■Quand se produit une révolution ?
      1. ● La préparation des contestataires
      2. ● Une crise économique
      3. ⫸ L’importance du programme économique et social
    2. ■Comment éviter une révolution ?
    3. ■À l’inverse, comment favoriser une révolution ?
  2. 🔷 Quelques développements supplémentaires à partir du modèle…
    1. ■Comment rater une révolution ?
    2. ■La démocratie comme révolution pacifique permanente ?
      1. ● La priorité pour la vie privée
      2. ● L’impossible contestation dans un régime autoritaire
      3. ● L’importance passée des instances consultatives et de débat
      4. ● Les spécificités de la démocratie adossée à un état de droit
  3. En conclusion ?

📍 Les analyses d’œuvres incluent toujours des éléments sur leur contenu. Si vous craignez d’être divulgâché, vous pouvez utiliser les titres des paragraphes pour vous faire une idée de leur thème.

Hormis les citations et les images

🔷 Quelles sont les conditions nécessaires à une révolution ?

Révolution est entendu ici au sens de changement de régime brutal, obtenu par la force, qu’elle soit armée, ou se contente de ne pas tenir compte de l’état du droit précédent. On peut être moralement en accord avec le but visé par une révolution (par exemple le coup de force de la proclamation de l’Assemblée Nationale, ou l’abolition des privilèges au cours de l’été 1789) ou franchement opposés aux valeurs promulguées.

« Contestataire » est utilisé pour désigner les opposants à un régime, indépendamment qu’on approuve ou désapprouve leur action.

L’objectif de ce modèle est de s’attacher à la mécanique de la crise de régime, en abordant les stratégies selon la position qu’un groupe a, en tant que détenteur du pouvoir, ou bien en tant que contestataire.

■Quand se produit une révolution ?

J’ai essayé de réduire au minimum les composantes du modèle pour qu’il puisse être manié facilement, fournissant un angle d’approche. Je rassemble ci-après les critères qui m’apparaissent les plus décisifs.

Un aspect essentiel à mon sens est le croisement entre temps long (celui de la maturation et circulation des idées) et temps court (celui de la crise).

● La préparation des contestataires

Dans le cas de la Révolution française (1789-1799), les penseurs des Lumières avaient préparé le terrain avec des modèles politiques : l’idée de contrat social, de séparation des pouvoirs, etc. Les conservateurs arrivés au pouvoir avec Donald Trump avaient, au travers de l’Heritage Fondation préparé leur Projet 2025 qui listait leurs intentions. Dans le cas des bolchéviks de 1917, ils avaient les écrits de Karl Marx, mais aussi toute la réflexion préparatoire de Lénine.

● Une crise économique

Le régime en place est confronté à une crise économique qu’il ne parvient pas à gérer (incompétence ou cas de force majeure, peu importe), tandis que des partis révolutionnaires promettent qu’ils sont prêts à agir et constituent une alternative crédible.

⫸ L’importance du programme économique et social

Je ne connais aucune révolution menée uniquement et prioritairement pour libérer des prisonniers politiques, obtenir la fin des persécutions de minorités religieuses ou les droits des femmes. En revanche, des changements sociaux et politiques majeurs (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) peuvent s’engouffrer en même temps qu’une tentative de résolution de crise économique. En arrivant au pouvoir, les contestataires changent le régime (équilibre des droits et devoirs, organisation des institutions en fonction de leurs priorités).

En l’absence programme politique prêt avant la crise, la révolte me parait se limiter à des émeutes, des jacqueries, avec risque d’une reprise en main de l’ordre établi sans changement de fond.

Je propose comme élément central du modèle l’importance d’un programme comprenant un volet économique et social. C’est le contenu de celui-ci qui est le motif déterminant de l’adhésion de la population au changement de régime.

■Comment éviter une révolution ?

En utilisant le modèle, je décline ici une boite à outils pour un régime cherchant à se maintenir face à des tentatives de déstabilisation (ou la crainte qu’elles puissent exister).

■À l’inverse, comment favoriser une révolution ?

Et maintenant la boite à outils pour les mouvements révolutionnaires…

🔷 Quelques développements supplémentaires à partir du modèle…

■Comment rater une révolution ?

Le taux d’échec des révolutionnaires et contestataires divers au cours de l’Histoire me parait élevé. En déclinant le modèle proposé, on obtient une boite à outils pour avoir de beaux échecs tragiques.

■La démocratie comme révolution pacifique permanente ?

En déroulant le modèle des révolutions, je me suis demandé comment aborder la démocratie et ses caractéristiques. Elle ne m’a pas souvent servi en jeu de rôle, les monarchies et les dystopies dominant largement, mais en la décrivant d’une manière concise et maniable, il est possiblement plus simple d’envisager sa mise en scène dans des crises de régime.

● La priorité pour la vie privée

L’un des postulats de mon modèle peut être résumé ainsi : Tant qu’un régime politique permet de mener sa vie privée de manière acceptable (facteur économique et social), il peut être une monarchie, un oligarchie, une république ou un régime totalitaire appuyé (ou au moins accepté) par une majorité de la population.

● L’impossible contestation dans un régime autoritaire

Dans un régime autoritaire, toute contestation met en péril l’intégrité du l’État. Sa force est rigide, et il ne peut pas se permettre de plier, au risque de paraitre faible. Or cette image de faiblesse peut aiguiser les appétits d’autres régimes similaires, mais également le désir de justice de tous ceux qui ont été opprimés : les contestataires empêchés de s’exprimer, tout comme les boucs-émissaires utilisés pour faire oublier les problèmes économiques.

● L’importance passée des instances consultatives et de débat

Un régime non-démocratique (monarchique ou tribal) peut inclure des institutions et des procédures visant à tenir compte des contestations. Les États généraux, sous l’Ancien Régime, ont provoqué la chute de la monarchie absolue, mais avant cela, avaient permis de traverser des crises graves par la négociation. Dans le même ordre d’idée, des procédures visant la prise de décision consensuelle au terme de palabres, favorisent l’adhésion de la population à la décision prise pour répondre à une crise.

● Les spécificités de la démocratie adossée à un état de droit

Une démocratie sans état de droit (une démocratie illibérale par exemple) se rapproche des régimes autoritaires par son incapacité à intégrer les contestations lors de crises. Il en résulte une grande rigidité, avec une combinaison de répression et de désignation de boucs-émissaires.

À l’inverse, un état de droit démocratique est conçu pour exprimer la contestation sans mise en péril de l’État (entité souveraine et régime politique). Il me semble même que c’est un élément essentiel pour caractériser ce régime, et cela bien plus même que le vote qui lui donne son nom. La contestation pacifique passe par :

Tandis qu’un régime autoritaire craint constamment sa chute, la démocratie libérale (c’est plus court que « respectant l’état de droit ») se maintien en dépit du changement des partis au pouvoir ; chacun défend une priorisation de valeurs. D’une élection à l’autre, la continuité est assurée :

Les contestataires doivent proposer un projet de société (une visions économique et social) dans les limites du régime (respect notamment de la Constitution). L’état des votes, en particulier en cas de scrutin proportionnel, est censé représenter les attentes de la population, ses priorités sur la base des programmes. Dans cette lecture, tous les votes exprimés (quel que soit le parti) ont la même légitimité.

Le système électoral démocratique est en revanche en difficulté quand :

En conclusion ?

Ce modèle « révolutions & répressions » vise avant tout à avoir une boite à outils pour les périodes de crises en cadre fictionnel.

  • On peut ainsi imaginer que les PJ sont du côté d’une révolution, mais constatent qu’elle est mal organisée, et qu’il faut rectifier le tir.
  • A l’inverse, les PJ peuvent être du côté du pouvoir en place, et chercher à éviter une dégradation de la situation, en maniant la répression, ou en incitant à des réformes menées prudemment (les périodes de réformes après une phase très autoritaire sont dangereuses).

Manier des notions en jeu de rôle, dans un cadre nécessairement plus simple, permet aussi d’aborder la complexité de notre réalité avec un regard plus distancié, et façonner, ajuster, compléter ses propres modèles et réflexions.

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2 réponses à « Révolutions et répressions »

  1. Avatar de atorgael

    Pour réussir une révolution il faut également une population qui n’ait plus rien à perdre, ou du moins qui ait plus à gagner qu’à perdre.
    Pour cela, les révolutionnaires peuvent, dans un premier temps, se muer en terroristes contre cette population pour la mettre en état de précarité afin qu’elle se rallie à leur cause plus tard.

    Une population qui a plus à perdre qu’à gagner ne soutiendra pas la révolution et se ralliera au gouvernement en place (quelque soit son efficacité/intégrité/…) pour ne pas perdre ses acquis.

    Ceci permet des affrontements de classe au sein d’une même cité par exemple ou des opposition ville/campagne sur une région.

    Plein de situations exploitables et à mettre en place en jdr…

    J’aime

    1. Avatar de Iris d'Automne

      Hello !

      L’expression « ne plus rien avoir à perdre » apparait régulièrement pour décrire des populations révoltées, mais si on examine les contextes de crises dans le monde, les critères qui y mènent ne me paraissent pas unifiés, et donc pas pratiques à utiliser dans un modèle. Le critère « crise économique » s’y rapporte, sachant que ça recouvre un très large champ de situations : la Révolution française de 1789 n’a pas le même contexte que celle de 1848, ou que les élections ayant permis à Hitler d’accéder au pouvoir.

      Toutes les crises économiques ne mènent pas à des révolutions et des changements de régime, et les monarchies européennes ou chinoises se sont longtemps maintenues, en traversant des épidémies, des guerres et des famines. Le contexte critique de la peste noire en Europe (1347-1349 pour l’essentiel) est extraordinairement grave ; la féodalité a survécu, avec ici et là des renégociations avec la paysannerie de l’équilibre droits-devoirs. La gravité d’une situation ne me parait pas directement corrélée avec la survenue d’un changement de régime.

      Il faut vraiment qu’il existe une alternative, et c’était ce que j’exprimais au travers de la notion de « programme économique et social » : il faut une proposition qui soit censée mieux résoudre le problème.

      De ton propos je déduis que le modèle n’est pas assez clair là-dessus. Je te rejoins : on n’essaie pas de résoudre une crise en allant vers quelque chose que l’on pense être pire ! 😅 On ne tente pas non plus un changement de régime si on croit qu’il faut juste attendre quelques mois avant que ça s’arrange.

      Pour l’option terroriste, ça me parait une stratégie risquée.

      • Le seul cas de succès qui me vienne à l’esprit est celui des talibans en 2021. Mais si je comprends correctement le fil des événements, les attaques qu’ils menaient visaient le gouvernement, et les effets sur l’économie (difficultés de circuler, peur, faibles investissements) sont indirects.
      • Par ailleurs, la perception d’une « crise économique causée par l’incompétence du gouvernement ou non gérée par lui » est subjective.
        • Actuellement, on a certains voyants économiques très alarmants en Russie (le taux d’intérêt des banques pour n’en citer qu’un), et d’autres qui paraissent convenables, et selon le canal d’information (ou l’expert), on a des discours « c’est une fuite en avant, c’est une bulle spéculative » ou « ça tient parfaitement bien malgré les pressions grâce à une remarquable adaptabilité ». On peut faire le même exercice actuellement aux USA sur la perception de l’inflation, les marchés, l’investissement. Donc clairement, un contexte de difficulté économique n’est pas du tout à lui seul suffisant : il faut qu’une partie importante de la population considère que le problème existe, et que son absence de résolution est due au régime actuel.
        • Dès lors, pour ton groupe terroriste cynique, il a intérêt (1) à ce que son implication ne se sache pas ; (2) à ce que le régime en place soit mauvais communiquant. Parce que si l’un ou l’autre de ces points ne tient pas, le groupe révolutionnaire n’aura gagné que l’hostilité de la population, avec un rejet viscéral de tout ce qu’il représente, voire remonte la cote du régime !

      Cela dit, dans une optique dark fantasy (ou SF dystopique), la chronique de l’échec d’une révolution, ou les errements, ou encore la répression sanguinaire une fois arrivés au pouvoir (hop, on passe des contestataires au « régime en place », changement de mode de jeu) peut constituer un fond d’intrigue efficace 🙂

      Ravie que ces thématiques t’inspirent !

      Aimé par 1 personne

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