Un néologisme est un mot nouveau. Cette question de l’invention de mots et de noms a accompagné mon écriture dans le jeu de rôle et elle se pose à présent dans l’écriture d’In-Existence.
Le problème avec les néologismes est simple : il complique la compréhension. Or tout ce qui nuit à la clarté risque d’entrainer un abandon de lecture. Dès lors, il faut de très bonnes raisons pour malgré tout s’y risquer! Je vous mets dans le cadre de références un lien vers le blog de Stéphane Arnier. Il recommande d’abord d’être économe en néologisme ; ensuite de chercher des racines et des compositions qui se rapprochent de nos langues, pour être relativement intuitives.
Sur In-Existence, mes néologismes appartiennent à cinq familles : argot et jurons ; approximations langagières ; occultisme ; faits de société ; agglutinations administratives. Dans chacun des cas, j’ai soupesé ma décision, pour aboutir à la conclusion que je ne voyais pas comment atteindre mon but par un autre chemin.
📝 Quelques articles évoquant le parcours de recherche
Ressources :
- Samantha Pratali, « Une archéologie linguistique du stigmate », La Vie des idées , 19 septembre 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Une-archeologie-linguistique-du-stigmate
- Inventer des mots – blog de Stéphane Arnier – 5 avril 2019
Sommaire
- 📝Journal d’écriture
- 🔷 Argot et jurons
- 🔷 Approximations langagières
- 🔷 Occultisme et surnaturel
- 🔷 Société
- 🔷 Agglutination administrative
- 🎃En conclusion ?
📍 Les analyses d’œuvres incluent toujours des éléments sur leur contenu. Si vous craignez d’être divulgâché, vous pouvez utiliser les titres des paragraphes pour vous faire une idée de leur thème.

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📝Journal d’écriture
■ Entre reprises et avancées
J’apprécie les carnets et les agendas papiers pour le calme qu’ils m’inspirent. Je rédige, je note, je gribouille, je colorie, je surcharge les pages, ou les laisse presque blanches. L’imperfection de ces supports sans fonction « effacer » m’est plaisante. Je note la pluie tombée autant que les chapitres écrits ou corrigés. Je constate un rythme d’écriture toujours soutenu. Nous approchons des 3 ans d’In-Existence.
- Série A « La toile de la malédiction » : V9 du premier chapitre après des retours incisifs du genre « je ne vois pas les enjeux, il ne se passe rien et puis le personnage est complètement impersonnel« . Fondamentalement, la teneur n’a pas changé. Il est toujours question de la Voyageuse cherchant une sortie pour quitter les Enfers. Après 8 versions de petites corrections les unes à la suite des autres, j’avais l’impression en relisant, de voir les marques de couture et de suture. Retrouver de la fluidité était ma principale préoccupation sur cette reprise. J’en ai profité pour insister un peu plus sur des ingrédients déjà présents et correspondant à ce que je voulais dire. Je ne suis pas sûre que cela suffise au relecteur considéré, mais au moins le texte est-il plus à niveau de l’écriture dans les chapitres les plus avancés. Bref, ça me parait « mieux » et c’est déjà ça de pris.
- Architecturation partielle : j’ai constaté qu’il m’était utile de préparer le prochain chapitre d’un personnage sitôt que j’en avais achevé un avec lui. Ne l’ayant pas fait en terminant le « Cavalier de Pique », je me suis retrouvée avec une grosse session de passage en revue pour tout le monde, sur les quatre séries ouvertes. J’ai passé plusieurs jours à relire, vérifier, croiser, et préparer. Un (max 2) chapitres pour chacun. En l’état, j’ai près d’une trentaine de chapitres planifiés, et quelques questions encore à résoudre. Pour certains personnages, comme Vanik ou Lilyan, la suite se joue à très peu de choses : une information obtenue à une heure près modifie beaucoup leur trajectoire. Je suis très prudente sur les affirmations en détail de ce qui se passera, pour éviter de me retrouver avec des situations « forcées », peu cohérentes avec l’intérêt d’un personnage, ses connaissances ou sa personnalité.
- Pleine lumière sur la mulote : ma série D (avec pour titre de travail « Point de rupture ») m’aura donné beaucoup de travail, d’hésitations, et de reprises à 180°. J’ai enfin l’impression qu’elle fonctionne correctement sur le plan structurel : arche narrative globale, arc dramatique des personnages, ton, rythme des chapitres. Je ne suis pas sortie des réflexions, et justement, je patauge sur un chapitre pour lequel je peine à trouver le bon ton. J’ai quand même cette fois bon espoir d’aller dans la bonne direction. Restera à trouver comme décrire ce mélange un peu improbable. J’ai parfois l’impression d’écrire une variante européenne de drama coréen : des scènes de comédie, des scènes romantiques, de l’action, de la tragédie… dans la même histoire, et sans trop d’état d’âme sur les transitions.
■ Explorations de communautés
Mes investigations se poursuivent. J’ai découvert l’existence d’un serveur Discord associé aux Mots Raturés. Le lien était attaché à la dernière newsletters, et je suis allée jeter un œil. Première impression : c’est très rempli ! Il me faudra un peu de temps pour dépouiller, visiter et me représenter ce que je peux retirer et apprendre de ce territoire.
J’ai également commencé à regarder du côté d’un serveur Discord associé au forum Cocyclics, tout en continuant de suivre les discussions sur Entre Auteurs, Discord de S. C. Boyer autrice du « Dernier Héritier ». Je mentionne ces trois communautés, car elles ont en commun la pratique de sessions d’écriture en commun. Les participants se retrouvent à heure fixe (façon rendez-vous) ou bien se lancent quand quelqu’un est disponible, puis écrivent pendant 25 minutes ou 1 heure, avant de débriefer à l’écrit ou à l’oral. Chacune des trois communautés suit un usage, mais on voit bien la tendance : écrire ensemble, s’encourager, ne pas rester seul.
Je me suis demandé « est-ce que c’est pour moi ? » … et je crois que non. Quand j’écris, je coupe justement tout, pour me mettre vraiment dans ma bulle de concentration, et je vise des sessions d’écriture grossièrement sur 19h00-22h00. Quand je finis, je suis au mieux en état de brièvement passer mon chapitre sur Antidote pour nettoyer le gros des coquilles et des répétitions gênantes, avant de ramper vers mon lit.
Il demeure que les participants à ces sessions d’écriture semblent très satisfaits et ils recommencent très régulièrement. Aussi, selon la manière de fonctionner, c’est peut-être une piste à envisager.
🔷 Argot et jurons
■ Saveur et ambiance au travers du jargon
Au vu de mes archives, je me suis intéressée à la question des jurons depuis 2004-2005. Dans mon souvenir flou de mes motivations, je pense qu’un déclic avait été le lexique particulier de l’univers « Planescape » et en particulier de la cité de Sigil. De là, j’avais commencé à chercher des argots anciens.
Les fonds de Gallica notamment proposent des ressources assez nombreuses, autorisant parfois la recherche dans le texte (via Control + F). J’ai une version du dictionnaire de Virmaître et une autre de Vidocq qui le permettent, et c’est d’un grand confort. Pour le lexique des injures médiévales, vous pouvez consulter avec profit l’ouvrage de Nicole Gonthier.
Déterrer de vieux mots ne constitue pas à proprement parler une création de néologisme, mais dans la pratique, l’effet sur le lecteur est le même. Le langage des personnages devient difficile d’accès, et c’est la fonction première de l’argot : ne pas être compris des forces de l’ordre ou des bourgeois (au sens d’habitants du bourg).
Des jargons particuliers existent dans chaque métier : mer, imprimerie, jeu de rôles… Sitôt qu’on développe une intrigue dans un milieu très typé, le lexique devient exotique pour le lecteur qui n’en est pas familier.
■ L’implication normative des insultes
Si vous faites un point rapide sur les insultes et jurons les plus communs en français, des « fils de pute », « sale pute », « chienne », « petite salope », etc. viennent très vite à l’esprit. Une bonne partie du lexique des propos dépréciateur exprime une morale sexuelle brutale au sein de laquelle le « bien » est caractérisé par « un homme ayant exclusivement des relations hétérosexuelle + sa compagne n’a eu dans sa vie de relation sexuelle qu’avec lui au sein du mariage« . Tout comportement qui en dévie inspire des insultes. Pour les femmes, le champ lexical associe étroitement cette déviance à l’animalité et à la saleté ; pour les hommes, il est davantage question de faiblesse et de perversion.
En substance, le registre des insultes met en lumière ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Dès lors, le choix des insultes utilisées dans un cadre fictionnel est un marqueur puissant. Qu’est-ce qui est laid, malsain, répugnant, offensant, humiliant? En creux, on dessine les valeurs. Si « hérétique » est une insulte, on dit également que le bon citoyen est pieux et orthodoxe dans sa pratique religieuse.
Si on utilise « pute » comme insulte majeure pour une femme (ou « fils de pute » pour un homme), on indique immédiatement que le cadre normatif est patriarcal, soit en bref :
- double standard de la morale sexuelle : un homme peut avoir des relations avec des prostituées ou des aventures ; une femme doit n’avoir que son époux dans sa vie intime
- le respect de la morale sexuelle d’une femme influe sur le rang et l’honneur des hommes de son entourage : le fils, le père, le frère et l’époux sont tous déshonorés en cas d’atteinte
- les hommes déshonorés par l’inconduite sexuelle d’une femme sont en droit (et même en devoir) de la punir : coups, privation de liberté, enfermement au couvent ou meurtre — qualifié de crime d’honneur le cas échéant
■ Insulter dans un autre système de valeur
Si on décrit une société totalement égalitaire entre femmes et hommes (en fantaisie comme en science-fiction), alors « pute » et « fils de pute » n’ont aucune raison d’apparaitre, à aucun endroit du récit. Or les jurons et injures apportent une saveur crue à un texte, et servent à donner un langage crédible à tout un pan de la population: pègre, soldats, marins, financiers, etc.
Comment présenter un langage agressif dans un univers égalitaire?
- (a) On part du principe que la violence disparait absolument sitôt que l’égalité parfaite existe entre les genres et les différentes sexualités. Cela implique également que les membres d’une société ne formulent plus aucun jugement d’ordre moral, et qu’il n’existe plus de termes dépréciateurs. Dans ce cas, la question des insultes ne se pose pas, car elles doivent totalement disparaitre du texte. Une telle vision de la société (et des humains) nécessite également de questionner la manière dont la colère (émotion primaire qui ne peut pas disparaitre) s’exprimerait.
- (b) On estime que la violence ne dépend pas des représentations associées aux genres. Dans ce cas, l’égalité ne fait pas disparaitre le jugement moral dans la société. Il y a toujours le « bien » et le « mal », « l’acceptable » et le « méprisable ». Il faut donc identifier des termes dépréciateurs qui traduisent le système de valeur.
Pour l’écriture d’In-Existence, mon postulat exprime la ligne (b).
🔷 Approximations langagières
Ces néologismes, comme le verbe « se pyjamiser » (se mettre en pyjama) ou « gangstérité » (allure, style gangster) sont le fait de peu de personnages. La très grande majorité de ces inventions sont le fait du personnage de Jul.
Fondamentalement, ces dérives langagières ont beau être des néologismes, elles n’en restent pas moins presque transparentes. Ce n’est pas très différent de certains éléments lexicaux dans la série Kaamelott (sur Wikipédia), dans laquelle des personnages moins instruits que d’autres ont des expressions maladroites ou usent de mots bricolés.
🔷 Occultisme et surnaturel
Une partie importante de l’intrigue implique des éléments surnaturels. Ils sont évoqués par la Voyageuse (qui sort littéralement des Enfers), et par des occultistes du monde matériel. Je me suis appuyée au maximum sur les spiritualités existantes, mais je me suis aussi heurtée à des notions sans équivalences.
Dans les Enfers de cet univers, chaque Domaine infernal dégage une attraction psychique. Elle est plus forte si vos problématiques intérieures y fait écho. Par exemple, les « Plaines de Dité » sont pleine de gens en colère qui s’entretuent dans des guerres ; les « Cités Axiomatiques » accueillent d’ardents zélotes de diverses idéologies, convaincus de devoir défendre leur paradis contre des menaces maléfiques. L’attraction du Domaine crée une illusion. Les créatures qui y sont soumises voient leur apparence modifiée. Un peu comme des acteurs dans un film : répondre à l’attraction revient à passer le casting et être engagés ; ensuite les costumes et le maquillage sont fournis.
Il y a donc deux catégories de créatures dans les Enfers : celles qui n’ont pas conscience d’y être, et croient évoluer dans « la réalité » (la seule, la vraie) ; et puis ceux qui savent où ils sont. Les termes de « damnés » ou de « démons » ne me paraissaient pas adéquats, car ils suggèrent un châtiment (il n’en est pas question ici) ou une nature profonde de l’âme (on peut être alternativement capturé par un Domaine, et lucide).
Partant de ce constat d’absence de lexique disponible satisfaisant, j’ai opéré par dérive étymologique :
- Attraction → attrace
- [Démon → daimon / daemon] + [lucide] → daeluce
Pour quiconque cherche des briques pour créer des mots, il y a de quoi faire avec les étymologies et les langues existantes. Je me sers beaucoup du « Dictionnaires Rosette » (hiéroglyphique) pour le jargon de la spiritualité daêtienne par exemple.
🔷 Société
En créant le Regenland, je voulais garder des éléments du genre du film noir et de gangster. Or il s’agit d’une ambiance qui implique de la violence, du mépris des faibles, le désir de se montrer fort, etc. Alors comment faire pour avoir à la fois une égalité entre les sexes, mais l’effet des inégalités de genre?
La solution a consisté à créer deux genres (leurs noms sont inspirés d’étymologies dénichées dans un dictionnaire allemand, lien ci-après). Résultat : il y a deux sexes pour les humains (masculin et féminin) et deux genres (husser et waffer).
Cette représentation binaire est considérée comme une simplification archaïque, mais des qualificatifs argotiques « hussy » (essentiellement dépréciateur, faible, émotionnel, vulnérable) et « waffy » (mélioratif, fort, vaillant) demeurent courants.
Il était impossible d’associer « husser » à « féminin » dans un cadre qui n’a pas connu le même cheminement de construction des normes sociales que le nôtre. Des mots supplémentaires m’ont paru inévitable pour traduire cette différence historique, enracinée sur plusieurs siècles.
🔷 Agglutination administrative
Le Regenland, la ZoNorEc et l’Union n’utilisent guère d’acronymes, mais beaucoup d’agglutinations. Ainsi un bâtiment appelé « Nouvelles Portes » n’est-il pas abrégé en « NP » mais « NouvPortes ». Comme dans notre monde, des adjectifs ou noms communs peuvent alors dériver d’une abréviation courante (comme ONU → onusien).
On est à la lisière entre néologisme et nom propre, mais c’est souvent le cas aussi dans notre monde. Des noms propres deviennent des expressions courantes ou des noms communs (Sade → sadisme). Il est difficile d’y échapper quand un lieu, une loi, ou une institution devient centrale dans une histoire.
🎃En conclusion ?
Quand j’ai débuté sur les Ombres d’Esteren (sur le GROG), le nombre de néologisme était important, et ils étaient de surcroît plein d’accents biscornus, et de prononciations contre-intuitives. Cette expérience m’a beaucoup marquée. J’étais partagée entre la crainte de rendre les textes illisibles, et une forme de fascination devant la liberté de bricoler des mots nouveaux.
Cette expérience aura été très formatrice et m’a sensibilisée aux enjeux des néologismes. J’ai tâché d’en tirer parti plus méthodiquement sur Dragons / Fateforge (sur le GROG). Durant ma période de travail sur cette gamme (2016-2023), j’ai cherché des dictionnaires, des étymologies et des ressources. Tous les noms de diables par exemple sont inspirés de l’akkadien, dont les sonorités m’enthousiasmaient. Quant aux termes en céleste, ils tirent leurs racines du hiéroglyphique.
⁂
Créer des néologismes est vraiment amusant avec le temps, mais il faut quand même penser au côté pratique pour le lecteur : les nouveaux mots doivent être utiles, prononçables, apporter une valeur supplémentaire.
Réfléchir au choix des mots amène aussi à se poser des questions sur son monde, son évolution, ses tensions. Tous ces détails permettent de l’enrichir, de le rendre plus vivant et profond. Je pense que ça en vaut la peine !
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A suivre ! ✨


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